« Pourquoi j’ai pas mangé mon père », premier film français entièrement réalisé en MoCap

Image extraite du film Pourquoi j'ai pas mangé mon père
© 2015 – PATHÉ PRODUCTION – BORÉALES – KISSFILMS – M6 FILMS – PATHÉ DISTRIBUTION – UMÉDIA– CATTLEYA

Le producteur exécutif de Pourquoi j’ai pas mangé mon père, Marc Miance, nous en apprend plus sur la technologie MoCap, utilisée avec succès pour les effets spéciaux du Seigneur des anneaux ou encore Avatar.

Quel a été votre rôle tout au long de l’aventure ?

En tant que producteur exécutif, j’ai accompagné Jamel pendant cinq ans sur toutes les étapes de production du film. J’ai eu un rôle prédominant sur sa forme, c’est-à-dire comment transformer l’objet littéraire de départ en une œuvre cinématographique. J’ai proposé la « MoCap » comme forme de prises de vues, d’expression, j’ai accompagné le développement du graphisme et le choix des technologies pour produire les images.

Jamel Debbouze raconte qu’un grand studio américain vous avait offert un pont d’or sur l’un de ses projets. Pourquoi avoir préféré celui-ci ?

J’ai reçu des propositions avant et pendant le film. Aucune d’entre elles ne m’auraient permis de faire ce que j’ai fait sur POURQUOI J’AI PAS MANGÉ MON PÈRE, c’est-à-dire le premier film d’animation français entièrement réalisé en MoCap ! Auparavant, cette technologie avait été utilisée de deux façons. Avec énormément de succès dans les effets spéciaux de films live : LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, LA PLANÈTE DES SINGES, AVATAR. Avec moins de réussite, selon moi, dans des films d’animation comme LE PÔLE EXPRESS, BEOWULF, la meilleure expérience en date restant l’adaptation de TINTIN. Le film de Steven Spielberg est magnifique, mais l’empathie avec les personnages me semble encore trop limitée, surtout au niveau des visages. Sur ce point, je pense que nous avons passé une étape décisive avec POURQUOI J’AI PAS MANGÉ MON PÈRE. Le script était idéal, le choix de cette technologie avait du sens, et je savais qu’avec Pathé nous avions un partenaire ambitieux pour explorer cette nouvelle forme d’animation. Et puis, tout simplement, j’y croyais par-dessus tout : capturer Jamel Debbouze, au sens propre et au sens figuré, est une sacrée expérience.

Quel travail artistique a-t-il été réalisé en amont sur les personnages et sur les décors ?

Il s’agissait d’abord de créer l’univers, dessiner les décors et les personnages en fonction de la vision de Jamel. Puis de faire un casting et d’adapter les dessins et leurs versions 3D aux acteurs choisis. Chaque personnage devenait ainsi l’enveloppe digitale d’un comédien !

Mais pourquoi Ian, incarné par Arié Elmaleh, ne lui ressemble-t-il pas alors que Edouard ressemble à Jamel ?

Idéalement, il fallait trouver des acteurs ayant la physionomie des personnages mais ce n’était pas toujours possible. Arié est la seule personne dont le langage corporel nous ait convaincu pour incarner Ian. Il a la même taille, la même longueur de bras que notre sympathique simien, mais pas son embonpoint. Il a donc tourné avec un faux ventre pour avoir l’encombrement approprié. Edouard étant le personnage le plus proche de l’humain dans le film, nous avons conservé les proportions de Jamel et réinterprété son visage. Et puisque Jamel a mis beaucoup de son expérience dans l’histoire, il y avait une certaine logique à le reconnaître immédiatement ! 

Et pour Vladimir et Sergeï, les deux Louis de Funès du film, comment avez-vous fait ?

Patrice Thibaud, le comédien qui l’incarnait le mieux dans la gestuelle, est plus grand et massif que Louis de Funès. Nous sommes partis de son squelette puis l’avons fait maigrir de manière digitale en enlevant de la chair à son enveloppe. Les expressions du visage ont été fabriquées sur ordinateur à partir d’archives photos et vidéos. Pour la voix, l’IRCAM a développé un logiciel qui analyse le contenu de la voix du comédien : c’est Patrice qui apporte la dynamique, le phrasé. Ensuite, la partition est resynthétisée grâce à une bibliothèque de voix de Louis de Funès pour apporter timbre et tessiture.

La technologie est-elle totalement et exclusivement au service du fond ?

C’est ce qui fait tout l’intérêt de cette production. Au studio Prana de Mumbaï, nous avons trois milles téraoctets de poils, d’écorces, de mousses et de feuilles ! Quand vous confrontez cette complexité à l’hyper inventivité de Jamel, la production devient une sacrée aventure. Toute cette technologie a été mise au service de son propos et de ses intentions.

Image extraite du film Pourquoi j'ai pas mangé mon père.
© 2015 – PATHÉ PRODUCTION – BORÉALES – KISSFILMS – M6 FILMS – PATHÉ DISTRIBUTION – UMÉDIA– CATTLEYA

Tout est virtuel mais rien ne l’est en fait, est-ce qu’on peut dire ça ?

Les décors du film sont l’illustration parfaite de la réponse qu’on peut faire à votre question. Entièrement dessinés en 2D, puis en 3D, ils n’existent pas. Pourtant, tout est tourné dans le monde réel. Il y a un donc un moment où tout doit exister même si ce n’est pas à l’image. C’est valable aussi pour les accessoires. Typiquement, l’agora, le centre de l’arbre où se déroulent de nombreuses scènes, a d’abord été imaginée sur ordinateur puis nous l’avons fait construire (sous la forme d’une structure évidée, afin que les caméras MoCap puissent filmer au travers). Impossible pour les acteurs d’offrir une bonne performance en jouant dans le vide. S’ils doivent enjamber une racine, la forme de la racine existe sur le plateau et c’est au milimètre près qu’ils la franchissent. La crédibilité finale de ce film en 3D passait forcément par là.

Comment était organisé le plateau du tournage ?

Nous disposions, à Stains, d’une surface de mille mètres carrés avec cent cinquante mètres carrés de surface de capture pouvant accueillir simultanément quinze comédiens, entourée de soixante-dix caméras Vicon 4K tournant à cent images secondes. 80 techniciens faisaient tourner ce gigantesque plateau que nous avons construit pour l’événement : une première en Europe ! Un data center a été installé à proximité du tournage afin d’enregistrer le flux énorme de ces soixante-dix caméras qui tournaient en simultané. Pour éviter que les comédiens ne dépriment dans ce lieu clos, nous avions fait imprimer une bâche de trente cinq mètres représentant l’univers graphique du film. Un petit goût de savane !

Et comment était équipé chacun des acteurs ?

Tout d’abord d’une combinaison, support à une quarantaine de marqueurs, dédiés à la capture des mouvements du corps. Ensuite, en ce qui concerne les expressions du visage, l’aventure a été un peu plus compliquée. Nous avions fait, un an et demi avant le tournage, l’acquisition d’une technologie de headcam américaine. Formidable, sauf que chaque headcam pesait cinq kilos ! Il nous a paru très rapidement impossible de demander aux acteurs, maux de tête et de dos obligent, de travailler dans ces conditions. Alkymia, notre société de technologie, a conçu un nouveau casque 100 % français baptisé “Thirdeye”, ne pesant que cinq cents grammes. La mise au point de cette innovation s’est achevée le week-end qui précédait le premier jour de tournage. Cela a été une autre aventure dans l’aventure !

Pour l’ensemble du casting, quels ont été les avantages et les contraintes liés à cette technologie ?

Tourner en MoCap, pour un comédien, c’est magique. Il ne voit rien de son image puisqu’on ne capte que son mouvement. Ne reste que la pureté de son jeu, son langage corporel, son expressivité. Un terrain de jeu pour l’imagination. On pouvait tourner dix, douze plans d’affilée, ce qui est assez proche du théâtre filmé, sans aucune attente liée à la lumière, au son ou au maquillage. La liberté de jeu, dans ces conditons, est forcément immense, avec quand même, certaines contraintes techniques comme la headcam, fixée sur un bras à plus de vingt centimètres du visage demandant quelques précautions. Des contraintes auxquelles tout le monde s’est habitué très vite.

Comment, dans ces conditions, était-il possible pour Jamel d’être à la fois acteur, en casque et combinaison, et réalisateur ?

Grâce à la MoCap, Jamel était devant et derrière la caméra, même quand il jouait son personnage ! Quand on fait un film en MoCap, il y a un changement de paradigme par rapport au cinéma en prises de vues réelles. Dans un film classique, on peut observer deux moments de mise en scène : celui du plateau où l’on dirige le jeu des comédiens à travers un axe de caméra puis celui du montage on l’on choisit l’ordre des plans. Avec la MoCap, puisqu’on tourne à 360°, le cadre s’effectue au moment du montage! A cette étape, vous pouvez monter une séquence en changeant le cadre, et donc choisir celui que vous voulez en fonction de ce que vous souhaitez raconter. La vision de Jamel a été déterminante pendant les deux mois de tournage puis tout au long de l’année dédiée au cadrage/montage.

Pourquoi vous être rendu au studio Prana, à Mumbaï, en Inde, pour effectuer toute la postproduction ?

Prana a été surtout un choix stratégique de production exécutive. Je voulais à la fois donner un maximum de moyens à la mise en scène, tout en assurant un niveau de détail à l’image comparable aux productions américaines. Prana (LA FÉE CLOCHETTE, PLANES 1 & 2) était le partenaire idéal, tant dans leur compétences que dans leur puissance de frappe. Avec ma femme – et associée – nous avons choisi de nous installer une année en Inde afin de superviser la naissance des images du film : la création des matières végétales et organiques, de la peau, des poils, ainsi que l’éclairage et le rendu des couleurs, s’est fait au rythme des moussons.

On ne se prend pas pour Dieu à un moment ?

J’hésite encore entre Dieu et esclave. Malgré tous ces ordinateurs, le travail n’est ni plus ni moins que de l’artisanat à grande échelle, donc un boulot de titan !

Sans Jamel Debbouze, ce film aurait-il pu se faire ?

Nous avons mis la technologie au service de l’improvisation, de sa créativité. Mon apport sur la forme n’a fait de sens que parce que c’était Jamel. Le message d’optimisme qu’il a voulu délivrer emporte totalement mon adhésion. Mais j’irai encore plus loin : pour vivre l’aventure que vous avons vécu, pour produire un film de cette taille, sur cette durée, il fallait forcément être optimiste. Pas un seul des acteurs de cette entreprise, à Paris, à Stains, à Mumbai, à Londres, à Bruxelles où au plus haut de la hiérarchie de chez Pathé, ne pourra vous dire le contraire. Nous avons produit cette œuvre tous ensemble, en prenant le meilleur de chacun. C’est, il me semble, un autre message fort délivré par le film. 

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