Tournage en Seine-Saint-Denis pour le film d’animation de Jamel Debbouze

Image extraite du film Pourquoi j'ai pas mangé mon père ?
© 2015 – PATHÉ PRODUCTION – BORÉALES – KISSFILMS – M6 FILMS – PATHÉ DISTRIBUTION - UMÉDIA– CATTLEYA

A travers cette interview, Jamel Debbouze nous raconte les différentes casquettes qu’il tient dans son film d’animation Pourquoi j’ai pas mangé mon père : réalisateur, scénariste et interprète.

Comment a débuté l’aventure de POURQUOI J’AI PAS MANGÉ MON PÈRE ?

On m’a d’abord demandé de faire une voix sur un projet qui était déjà bien enclenché. J’ai imaginé deux ou trois phrases de dialogues qui ont fait rire et j’ai proposé quelques remarques sur la structure. Ils m‘ont proposé de travailler sur le scénario d’une adaptation du livre de Roy Lewis Pourquoi j’ai mangé mon père. Je n’ai pratiquement rien gardé, excepté les personnages de Edouard et Vania en faisant d’eux des frères. J’ai également préservé l’univers et le ton du livre qui me plaisaient beaucoup. Après la voxographie, l’écriture, on m’a demandé finalement si je voulais réaliser le film. De fil en aiguille, cette aventure a été une vague de propositions qui m’a submergé. Ce n’est pas moi qui ai fait ce film, c’est ce film qui m’a fait. Entre le moment où je venais pour un simple doublage et aujourd’hui, il s’est passé sept ans. C’est la plus grande aventure de ma vie. Je n’ai jamais autant travaillé sur un projet, avec autant d’intensité et d’envie.

Quand aviez-vous lu le livre de Roy Lewis, à ce moment ou bien avant ?

Je l’avais lu quand j’étais à l’école, contraint et forcé. Mais le décalage entre la situation et le ton, c’est-à-dire que c’est vous et moi en singes, m’avait déjà beaucoup plu parce qu’il rendait l’histoire très accessible. En travaillant sur l’adaptation, j’ai décidé de ne pas rester collé à l’oeuvre originale. J’avais vraiment envie de me l’approprier, d’incarner totalement cette histoire en y mettant ce que j’ai été et ce que je suis devenu.

Le changement de titre par rapport à l’original est-il lié à une vision globale différente de l’histoire ?

On peut ne pas être d’accord, ce n’est pas grave, dit Edouard en substance. Mais lui, décide que manger son père est barbare et il est seul face à tous, comme j’ai pu l’être parfois. Maintenant, les défenseurs de l’évolution ont-ils toujours raison face aux autres ? Pas forcément. Regardez l’énergie atomique et la bombe, internet et ses dérives. Ce que je voulais raconter à travers Edouard c’est que, quoiqu’il en soit, nous devons faire l’effort d’être civilisés. Le respect, la politesse, la compréhension sont comme des muscles qui se travaillent. On devrait s’empêcher tous ensemble d’aller trop loin, au-delà de certaines limites, et décider ensemble du chemin à prendre. Les singes de mon histoire deviennent solidaires après la destruction de leur arbre, qui leur sert d’habitation. Faut-il vraiment attendre d’en arriver là ?

Edouard représente bien en tous cas The Evolution Man ( premier titre anglais du livre ), celui qui fait avancer l’espèce en découvrant la marche debout, en apprivoisant le feu.

Banni du groupe, il doit faire face. Il découvre malgré lui, par hasard, le feu, l’amitié, l’amour, mais pas seulement par hasard. Edouard est un optimiste qui invente aussi la musique et l’espoir. Son moteur c’est l’élan d’humanité. Il n’a pas d’a priori, ne juge pas, il reste positif en toutes circonstances parce qu’il est convaincu que la solution passe par l’homme et par la bonté.

Et quand il dit : « Mais c’est parce qu’ils ne nous connaissent pas qu’ils nous tapent » est-ce que ça ne fait pas écho à des problèmes actuels, l’ignorance, l’exclusion ?

Sans vouloir faire d’analyse de comptoir, oui j’ai voulu parler des banlieues où l’on peut se sentir exclu, mis au banc de la société. Mais aussi, de toutes les cours d’école où l’on se retrouve mis à l’écart à cause des ses vêtements, de son nez, de ses cheveux, de sa couleur de peau, de sa manière de parler. Pour ces enfants, ces jeunes, il y a selon moi deux manières possibles de réagir : soit d’être frustré et d’en nourrir une haine des autres et du système, soit de transformer cette frustration en joie, aussi bizarre que cela puisse paraître à dire. Dans mon cas, la honte a été un moteur puissant et j’ai eu la chance qu’elle soit très vite remplacée par l’amour.

Les progressistes contre les conservateurs. Une opposition dans l’air du temps, encore et toujours ? Quel message teniez-vous à transmettre à ce sujet ?

Elle a toujours été dans l’air du temps depuis le début de l’humanité. Il y a les gens qui vivent dans le passé, d’autres dans le futur. Il n’y en n’a pas beaucoup qui sont très ancrés dans le présent. Il est de plus en plus difficile de se poser pour dresser un bilan serein. La dualité action-réaction a fait avancer l’humanité. Aller le plus loin possible jusqu’à la destruction et puis renaître de ses cendres, c’est la marque de l’homme. C’est le constat que nous établissons aussi, mais voilà, je fais partie d’une génération qui n’a pas envie de tout détruire. Je suis convaincu qu’on peut au contraire construire et embellir. Le rire, la gentillesse et la bienveillance sont pour moi les trois plus belles vertus de notre espèce.

Le progrès améliore la vie de vos simiens mais ils se recroquevillent vite sur leurs possessions. À peine sont-ils installés qu’ils commencent à se jalouser, à s’exclure.

Il me semble que nous avons cette capacité à être hermétiques au bonheur. Nous avons beaucoup de mal à nous satisfaire de nos acquis et à nous dire : là je suis bien. Moi je me force à me poser, à réfléchir et à me dire que la vie est top, que j’ai un toit, une famille et de quoi la nourrir sans envier qui ou quoi que ce soit. Mais si vous n’avez pas cet essentiel, il est facile de nourrir des mauvaises pensées ; c’est humain. Le tout, c’est de ne pas en vouloir au voisin ou à l’étranger, juste parce qu’il est là… c’est souvent la peur qui nous fait mal réfléchir ou mal agir. Dès que la peur entre dans nos chaumières, on devient des cons. Comme l’eau, elle s’infiltre partout. Elle peut détruire le monde. La sorcière du film symbolise ces peurs, celles qu’on nous vend du matin au soir et qui nous montent les uns contre les autres,  celles qui empêchent les singes de descendre de l’arbre et d’être libres. Edouard, devient qui il est parce qu’il a décidé de ne plus avoir peur. Quand on prend cette décision vous savez ce qu’il se passe ? Comme dans IRON MAN, une armure d’invincibilité vous recouvre. On l’appelle aussi la confiance en soi.

Après avoir été banni par son clan, Edouard est recueilli par un grand singe solitaire et assez simplet prénommé Ian. Qui est ce personnage ?

Il est proche de l’autisme, s’exprime comme un poulpe. Merci Arié Elmaleh, qu’on ne reconnaît pas du tout, pour cette performance. Ian c’est l’ami d’enfance d’Edouard, il vit seul, exclu par le reste du groupe parce qu’il ne sait pas parler comme eux. C’est un gentil gros singe blanc qui fait des bulles de temps en temps pour s’amuser ou appeler son oiseau de compagnie Kif Kif. Ian a recueilli Edouard par hasard à la naissance. Il l’a protégé sans jamais le juger. Ils sont amis pour la vie.

Ces deux personnages, Edouard et Ian, sont exclus parce que souffrant de handicaps, mais on s’aperçoit que l’un est un inventeur de génie et l’autre un visionnaire. Est-ce la différence qui, selon vous, fait avancer le monde ?

Edouard et Ian n’ont pas d’autre alternative que de s’appuyer l’un sur l’autre puisque le reste du monde ne veut pas d’eux. C’est un sentiment que j’ai vécu dans ma chaire. Ce que j’aime dans ces deux personnages c’est qu’ils sont comme mes parents : ils ont vécu des choses dures mais ils n’en veulent à personne, ils ne connaissent pas la rancune. C’est ce que ma mère m’a toujours transmis. Moi, je crois définitivement que ce sont les optimistes, leur énergie et leur force d’entraînement, qui font avancer l’humanité. On veut nous faire croire que le pessimiste est intelligent. Faux ! C’est une posture ! Une imposture même ! C’est l’optimisme de l’avenir ! Edouard et Ian veulent juste faire partie de la fête et si on les exclue ils la créeront eux-mêmes et le monde aura envie de les rejoindre. Est-ce que vous vous rendez compte que tout ce qui vient de la banlieue influence la France en matière de style, de sport, de musique, de cinéma, de littérature ! Comment peut-elle encore être autant exclue de son propre pays ? Comme pour Edouard et Ian, c’est une énigme…

Pourquoi avoir décidé de réaliser ce film en « performance capture », ce qui est une première en Europe ? 

C’est Jérôme Seydoux qui l’a décidé et, franchement, il n’y a que lui aujourd’hui pour faire ça. Il faut du courage, une vision, du temps et de l’argent pour se lancer dans cette voie et prétendre boxer dans la même catégorie que les Américains. Il y a en France dans ce domaine, des forces vives, des artistes de l’animation qui figurent parmi les meilleurs au monde. Marc Miance, par exemple, qui a fondé la société Let’So Ya, est un génie. Les Américains lui ont fait un pont d’or pour qu’il devienne numéro cinq sur un de leur projet. Nous, on lui a proposé un petit pont de bois pour être numéro un. Et il a marché. Nous avons travaillé en Inde avec le studio qui a bossé sur les effets spéciaux de L’ODYSÉE DE PI. Là-bas, je me suis retrouvé dans une salle d’attente à côté de John Lasseter (TOY STORY, CARS 2), vous vous rendez compte !

Où le film a-t-il été tourné ?

A Stains (Seine Saint-Denis), durant deux mois, dans un local de mille mètres carrés équipé de soixante-dix caméras disposées sur 360°, de quarante ordinateurs et d’un disque dur monumental et quasi organique. Il fallait de temps en temps le laisser récupérer avant de reprendre les prises.

Avez-vous facilement trouvé des acteurs pour vous suivre dans cette aventure ?

Il est déjà compliqué de trouver des acteurs qui savent jouer, danser et chanter. Mais si en plus vous leur dites qu’ils passeront dix heures par jour accroupis ou à quatre pattes, il n’y a plus personne. Nous sommes allé chercher des danseurs, notamment ceux de la troupe R.Style, et des cascadeurs. Cyril Casmez qui dirige la compagnie du Singe Debout nous a fait travaillé tous les mouvements des singes durant huit mois. Et puis nous avons quelques acteurs qui ont joué le jeu. Arié a été formidable, je l’ai tellement harcelé. Patrice Thibaud, qui a fait partie de la troupe de Jérôme Deschamps, est un pantomime incroyable. Il tient les rôles de Sergueï et Vladimir. Mais il faut parler aussi de Christian Hecq de la Comédie Française, de Dorothée Pousséo qui a une voix démente, de Youssef Hajdi qui joue Marcel, le premier crétin de l’humanité.

Les personnages de Sergeï et Vladimir, incarnés par Patrice Thibaud, ont les traits et la voix de Louis de Funès. Que vient-il faire dans cette histoire ? C’est une forme d’hommage pour le faire découvrir aux plus jeunes?

Louis de Funès n’a pas besoin de moi pour être reconnu y compris par les plus jeunes qui l’adorent. Il y a un clin d’œil à LA FOLIE DES GRANDEURS parce que ce film est, sans commune mesure, l’un des mes préférés. Qu’est-ce que j’aurais adoré être là, y participer. Oui, c’est un hommage parce que Louis de Funès a beaucoup compté dans ma vie et que, je le répète, ce film est un peu mon histoire. Monsieur de Funès m’a fait délirer. Il m’a influencé et m’influence encore. L’IRCAM a développé un logiciel pour le film afin de récupérer dans les archives le plus de phonèmes possibles pour récréer sa voix. Un travail de titan pour un titan de la comédie.

Au casting du film, il y a également une journaliste. Qu’est-ce qui vous a décidé à choisir Mélissa Theuriau, votre épouse, pour tenir le rôle de Lucy ? 

Rien n’a été prémédité. Au stade de l’écriture, j’échangeais beaucoup avec Mélissa. Elle lisait, je tenais compte de son point de vue féminin, elle me poussait dans mes retranchements, me forçant à creuser ma part de féminité, comme on dit. Parfois, nous nous mettions à jouer certaines scènes et petit à petit, dans ce ping-pong verbal, je me suis rendu compte que ça tapait fort de son côté, qu’elle renvoyait bien la balle et je prenais même quelques smashes. Bref, qu’une actrice sommeillait en elle et que je venais de la réveiller. Je lui ai proposé de passer des essais. La production m’a immédiatement appelé après les essais : c’est bon, on a Lucy. Mélissa s’est emparée du rôle d’une manière remarquable. Elle est charmante et sauvage, on dirait la Belle et la Bête en une seule personne. C’est aussi elle qui fait sa voix avec ce léger accent brésilien. Finalement j’ai compris qu’elle avait toujours eu envie de jouer.

La BO du film est également à votre image. Qu’est-ce qui a présidé au choix des morceaux ?

Nina Simone, Barry White, Aretha Franklin, Stevie Wonder… La soul, musique de l’âme, musique universelle, m’a fait rêver. Elle m’a rendu tendre également, sûrement parce qu’elle place l’amour au coeur des préoccupations. La soul est porteuse de bonnes vibrations et de valeurs importantes. Je trouve qu’elle colle parfaitement aux relations entre Lucy et Edouard. Il faut citer aussi Skrillex, Merlot et DJ Kore qui m’a composé un morceau absolument dingue pour la scène dans les cavernes.

À la fin de l’histoire, Edouard pourrait devenir roi des Simiens mais il ne prend pas cette place. Pourquoi ?

Il ne l’a jamais été, il n’a jamais voulu l’être, ça n’a jamais été un sujet pour lui. Le pouvoir ne l’intéresse pas. Ce qu’il veut c’est faire partie de la famille. Ce qui compte pour lui c’est la chaleur humaine, l’élan. La question qui l’anime est : qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire tous ensemble ? J’espère que nous sommes, aujourd’hui, de plus en plus nombreux à penser la même chose. Le sujet du film, c’est LA FAMILLE.

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