Esthétique bluffante pour l’univers du « Prince oublié »

Image extraite du film Le prince oublié.
© 2020 - PRELUDE - PATHE - STUDIOCANAL - TF1 FILMS PRODUCTION - BELGA FILMS PRODUCTIONS - KOROKORO

Michel Hazanavicius, réalisateur du Prince oublié, nous raconte comment son rôle de père l’a guidé dans ce projet.

NOUS VOUS AVIONS QUITTÉ EN 2017 AVEC LA SORTIE DU FILM « LE REDOUTABLE ». DE QUELLE MANIÈRE L’AVENTURE DU « PRINCE OUBLIÉ » A-T-ELLE COMMENCÉ POUR VOUS ?

Ce sont les producteurs du film, Philippe Rousselet et Jonathan Blumental, qui ont développé ce projet. Bruno Merle a écrit le scénario original, puis il a été rejoint par Noé Debré et assez rapidement, les producteurs ont pensé à moi pour le réaliser. Ils avaient envie d’un grand film familial qui pourrait mélanger l’émotion d’une histoire intime et le spectacle d’une aventure épique.

En lisant le scénario, j’ai été très touché par cette histoire, et par le projet en général, son ampleur, son ambition, j’ai adoré l’idée de faire ce film. C’était un projet assez éloigné de ce que j’avais pu faire jusque-là mais à la lecture, j’y ai retrouvé des thèmes qui me touchaient et la possibilité de réaliser un film que mes enfants pourraient voir. J’ai aimé le fait qu’on puisse insuffler à cette histoire du fantastique, de l’imaginaire, dans le récit simple d’un père qui doit accepter de voir grandir sa fille. Bref, c’était une aventure très excitante qui a en fait démarré juste après le tournage du REDOUTABLE

EN TANT QUE PAPA, AVEZ-VOUS CONNU CE MOMENT OÙ, COMME DANS « LE PRINCE OUBLIÉ » LES ENFANTS N’ONT PLUS BESOIN OU ENVIE QU’ON LEUR RACONTE UNE HISTOIRE LE SOIR ?

J’ai 4 enfants dont une fille qui a 8 ans et qui est encore ravie d’écouter des histoires avant de dormir ! Ce que je voulais mettre en place, ce sont les deux niveaux de l’histoire : un dans le monde réel, l’autre dans l’imaginaire qui est une sorte de projection mentale très stylisée de l’univers du père joué par Omar Sy… Et si ce qui se passe dans la réalité est assez simple, voire banal (un papa confronté au fait que sa fille grandit) dans l’imaginaire, les conséquences sont énormes, ça devient une aventure épique ! Or, quand nos enfants commencent à nous échapper, notre inconscient lui aussi est bouleversé : nous ne sommes plus de jeunes parents et les rapports changent, deviennent moins ludiques. La notion de peur s’insinue peu à peu vis-à-vis de ce qui les intéresse soudain et on a envie de les cadrer, de les protéger… Trop, parfois. Tout cela crée forcément des tensions et je crois que la fameuse « crise d’adolescence » est souvent une crise des parents.

ON CROISE D’AILLEURS DANS CE RÉCIT D’AUTRES THÈMES QUI VOUS SONT CHERS : L’ENVERS DU DÉCOR DE L’INDUSTRIE DU DIVERTISSEMENT OU LE CÔTÉ PÉTILLANT DE LA ROMANCE…

J’aime faire des films à plusieurs dimensions. Je m’amuserais sans doute à tourner une comédie romantique très classique mais il me manquerait quelque chose, je me sentirais un peu à l’étroit. En fait j’ai besoin de m’amuser, de trouver un ressort supplémentaire, un autre niveau de lecture avec d’autres ambitions. Je ne fais pas vraiment exprès d’aborder les thématiques dont vous parlez. En vrai, je n’ai jamais souhaité délivrer un message particulier et si le film est réussi, c’est déjà bien. Mais au bout d’un moment, des choses finissent par transparaître, et des thèmes persistent, mais sans aucune direction de ma part. Je ne travaille pas du tout là-dessus, je crois que ce sont des thèmes vers lesquels je vais par pur instinct. D’ailleurs Bérénice m’a grillé tout de suite : après avoir lu le scénario elle m’a dit : « Mais c’est exactement le même thème que THE ARTIST ! »

VOUS PARLIEZ DES DEUX UNIVERS DU FILM : LA RÉALITÉ ET L’IMAGINAIRE. J’IMAGINE QUE TENIR CETTE DOUBLE LIGNE SANS SE PERDRE, NI ÉGARER LE SPECTATEUR, ÉTAIT UNE SACRÉE GAGEURE…

C’est toujours compliqué de se lancer dans un récit où il faut faire de tels aller-retours : cela crée de fait une fracture qui peut être inconfortable. Ici, l’avantage c’est qu’en fait on développe la même histoire : le père et le prince sont en fait une seule et même personne. Quand l’un subit un coup dur, l’autre en ressent les effets… Mais oui, l’équilibre est fragile, théorique et je l’ai vraiment découvert au montage. Au tournage, on ne se pose pas du tout la question. On réfléchit aux correspondances, aux enchaînements, mais l’équilibre c’est compliqué d’y réfléchir de manière abstraite. J’ajoute que le spectateur dès le début n’a aucun doute : la véritable histoire qui est racontée est celle du père. Ce qui arrive au Prince n’est que l’illustration cinématographique de cette réalité très quotidienne et rationnelle…

LE FILM EST ÉGALEMENT PONCTUÉ PAR DES PHRASES OU DES MESSAGES QUI APPARAISSENT SUR DES AFFICHES DANS LA RUE OU SUR LES BUS. QUELS SONT LEURS RÔLES ?

Cela faisait très longtemps que je n’avais pas fait un film contemporain, mis à part un des segments des INFIDÈLES. Mon parti-pris pour LE PRINCE OUBLIÉ était d’avoir une image plus naturaliste et simple mais devoir montrer à l’écran des pubs pour des magasins de bricolage ou la grande distribution me déprimait un peu, surtout que le film est aussi un conte… Donc pour les scènes de rue ou de bus j’ai imaginé autre chose, que j’avais déjà expérimenté dans LE REDOUTABLE et même dans THE ARTIST : faire apparaître des messages écrits à l’écran. D’où l’idée, assez jolie je trouve, de mettre des mots qui viennent remplacer la pub urbaine de transition et facilitent les ellipses. Une fois décidé de ce principe, j’ai fait appel à des artistes, les frères Toqué, qui font des interventions de ce genre dans Paris depuis des années. J’aime leur graphisme à la fois un peu suranné et moderne, qui s’intègre parfaitement dans le quotidien en le décalant légèrement.

PROFITONS-EN AUSSI POUR PARLER DE VOTRE ÉQUIPE TECHNIQUE QUI A TRAVAILLÉ SUR L’ESTHÉTIQUE BLUFFANTE DU « PRINCE OUBLIÉ ».

Tout a été tourné aux studios de Bry-sur-Marne dont nous avons investi quasiment tous les plateaux. À l’écriture, j’imaginais un endroit où l’on circule dans des petites voiturettes, où il y a des pelouses sous le soleil… J’avais une image en tête : celle d’un employé qui abaisse une manette pour faire passer ce monde imaginaire du jour à la nuit. C’était donc étrangement plus simple de tourner tout cela en intérieur, de recréer une rue entière et ensuite digitalement de créer un ciel ou d’étendre l’horizon… Pour faire tout cela, j’ai collaboré avec le chef déco Laurent Ott bien sûr, mais aussi le responsable des effets spéciaux Philippe Aubry (Falap) et un concepteur graphique qui s’appelle Jérôme Billet (Lardux). On a mis en place petit à petit ce monde en lui donnant une cohérence géographique et architecturale, même si l’idée générale était que ça ressemble à une boîte de feutres, très colorée et joyeusement enfantin. L’idée est d’avoir un univers suffisamment réaliste pour qu’on accepte d’y voir évoluer des acteurs, mais suffisamment onirique pour accueillir cette histoire d’imaginaire. D’autant que j’y ai délibérément introduit des aberrances physiques pour renforcer ce sentiment de non réalisme.

Image extraite du film Le prince oublié.
© 2020 – PRELUDE – PATHE – STUDIOCANAL – TF1 FILMS PRODUCTION – BELGA FILMS PRODUCTIONS – KOROKORO

CE PRINCE EST DONC INCARNÉ PAR OMAR SY. DE QUELLE MANIÈRE AVEZ-VOUS PENSÉ À LUI ?

Le nom d’Omar a été évident très rapidement… C’est un comédien qui dégage une empathie immédiate et ce rôle de père aimant, maladroit, touchant était fait pour lui ! Pour être honnête, lui avait plus peur du versant princier de son personnage ! J’ai pris beaucoup de plaisir à créer le Prince et on a construit le personnage ensemble. C’est un acteur qui possède ce que 90 % de ses collègues se damneraient pour avoir : son humanité éclate dès que vous le filmez ! Pour l’avoir fréquenté plusieurs mois au quotidien, je sais que ce n’est pas feint et de toute manière ça ne peut pas se fabriquer… La caméra agit sur Omar comme un scanner et chacun peut alors voir de quoi il est fait. C’est un atout assez dingue pour un acteur, c’est très précieux. Et évidemment, quand il joue le père face à sa fille ou les scènes avec la voisine, il amène tellement d’humanité, c’est un bonheur…

CETTE FILLE, ENFANT PUIS ADOLESCENTE, EST JOUÉE PAR DEUX COMÉDIENNES : KEYLA FALA ET SARAH GAYE…

Qui n’étaient pas du tout comédiennes avant de tourner dans le film, si tant est que l’on puisse l’être à cet âge. Keyla est comme tous les gosses de 8 ans : elle n’avait aucune conscience de son image et s’en foutait complètement ! J’ai connu ça avec mes gamins que je pouvais prendre en photo ou filmer comme je voulais, jusqu’au moment où ils ont pris conscience de leur image, où la pudeur (et c’est normal) intervient dans l’histoire comme une sorte de carapace. Là ça devient plus compliqué… Keyla est une enfant brillante et naturelle que Stéphane Touitou a repérée à la sortie d’une école. Elle était marrante comme tout, absolument pas impressionnée et elle a pris ça comme tous les acteurs devraient le faire : un jeu… 

Omar a été très bon en tant que partenaire, il s’est adapté avec beaucoup de générosité. Sarah elle était un peu plus timide, moins expansive, mais ça correspondait à son personnage. J’ai tenu compte de cette fragilité tout en la poussant à exprimer ce que son personnage d’ado dit parfois assez durement à son père… Je n’oublie pas Néotis Ronzon qui joue Max, le copain de Sofia à l’école et le nouveau Prince. Avec lui c’était autre chose, plus sportif, car c’est une drôle de nature dans la vraie vie. C’est une pile électrique. C’est un gamin qui vit à la montagne près de Grenoble, qui cavale toujours partout en faisant des galipettes et en se filmant pour sa chaîne Youtube ! Il a fallu le canaliser et le rassurer aussi car ce qu’il avait à jouer dans le monde imaginaire lui offrait moins de repères.

PASSONS À BÉRÉNICE BEJO QUI JOUE LA VOISINE DE PALIER D’OMAR SY…

Ce rôle fait partie des éléments que j’ai beaucoup retravaillé au scénario car ce personnage-là était assez peu développé. J’ai donc imaginé du sur mesure pour Bérénice car, indépendamment de la femme avec qui je vis, je trouve que c’est une actrice extrêmement pétillante. Elle est drôle, charmante, et elle a le sens de la comédie, le timing, la justesse. Pour moi, son emploi idéal au cinéma est celui de la jeune première de comédie, mais c’est vrai qu’on lui offre souvent des partitions plus dramatiques. Elle y est toujours très bien mais j’avais envie de la voir dans un film plus frais, avec une belle énergie, et un personnage débordant de vie, un peu gaffeuse, mais pleine de charme. C’est un personnage de comédie romantique, et on s’est régalé à la voir s’en emparer. J’adore travailler avec elle et nous nous sommes beaucoup amusés, d’autant que les registres étaient assez différents de ce que je lui avais moi aussi proposé dans THE SEARCH et LE REDOUTABLE. En fait elle a un peu retrouvé le personnage de Peppy Miller dans THE ARTIST. C’est un peu comme si elle jouait son arrière-petite-fille.

VOUS AVEZ CHOISI FRANÇOIS DAMIENS POUR LE RÔLE DE PRITPROUT, LE VRAI-FAUX OU FAUX-VRAI MÉCHANT DE L’HISTOIRE…

Là on est vraiment dans le guignol pour les enfants ! Pritprout est en effet un méchant mais qui ne représente aucun danger, une sorte de Gargamel qui se prendrait pour Frollo mais qui est seulement un branquignol ! J’ai tout de suite pensé à François à qui j’ai fait tourner je pense son premier film, OSS 117, LE CAIRE NID D’ESPIONS, et nous avons toujours gardé un rapport très particulier. Ce personnage n’était pas évident pour François car son emploi habituel est d’être l’élément perturbateur ou décalé d’une histoire réaliste, alors que dans LE PRINCE OUBLIÉ, il évolue uniquement dans un univers qui est imaginaire et de fait déjà très décalé… Mais le résultat est formidable : Pritprout est un méchant de cirque, un clown.

UN MOT DE LA MUSIQUE DU FILM, COMPOSÉE PAR UN GRAND NOM DE LA BANDE-ORIGINALE : HOWARD SHORE…

Quelle chance d’avoir pu travailler avec un musicien de cette envergure récompensé par deux Oscars. C’est quand même lui qui a composé le score du SEIGNEUR DES ANNEAUX, du SILENCE DES AGNEAUX mais aussi de ED WOOD, de THE GAME, de MADAME DOUBTFIRE ou de GANGS OF NEW YORK ! Nous avions le fantasme de collaborer avec lui avec l’idée d’une couleur musicale proche (toute modestie gardée) de celle des films Pixar. LE PRINCE OUBLIÉ s’adresse aux enfants mais aussi aux plus grands et aux parents : c’est une aventure familiale. Jusqu’ici, Howard est plutôt connu pour des partitions dramatiques ou tendues mais il a déjà composé des choses plus légères et j’aime sa démarche qui est toujours de s’intéresser au premier degré du personnage en parvenant à produire une émotion grâce à ses mélodies… Je tenais beaucoup à avoir des thèmes qui prennent le temps de se développer, alors que la tendance aux États-Unis est d’aller vers le « sound design », c’est-à-dire des couleurs sonores, des rythmiques. Je pensais qu’il serait totalement inabordable car trop occupé mais le scénario l’a beaucoup touché et il aimait bien ce que j’avais fait en tant que réalisateur. Howard m’a dit oui assez vite, acceptant de jouer le jeu dans une contrainte budgétaire qui n’a rien à voir avec un film hollywoodien et il a consacré 6 mois de travail à composer et enregistrer pour nous… Howard Shore écrit seul, à raison de 5 minutes par semaine environ et au final, je suis hyper content de sa partition, que je trouve originale, sensible, et avec une palette d’émotions très larges. Howard est capable de suivre la comédie à la moindre variation quand il le faut, et d’envoyer un thème hyper lyrique quand la situation le demande.

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