Le co-scénariste Pascale Ferran rejoint l’aventure de « La tortue rouge »

Image extraite du film La tortue rouge.
© 2016 Studio Ghibli – Wild Bunch – Why Not Productions – Arte France Cinéma – CN4 Productions – Belvision – Nippon Television Network – Dentsu – Hakuhodo DYMP – Walt Disney Japan – Mitsubishi – Toho / Propos recueillis par Bernard Génin.

Pascale Ferran nous raconte son arrivée dans l’écriture de La tortue rouge, qui est également pour lui son premier poste de scénariste pour un film d’animation.

C’est la première fois que vous travaillez sur un film d’animation. Est-ce un genre que vous suiviez ?

Pour moi, la question des genres cinématographiques ne se pose pas tellement. Certains films d’animation sont des films immenses, exactement au même titre que d’autres en prises de vue réelles. Et je place très haut, par exemple, les films de Hayao Miyazaki et de Isao Takahata dans mon panthéon personnel. Mais c’est vrai que le cinéma d’animation est particulièrement en forme en ce moment. Je me suis aperçue récemment que parmi les réalisateurs dont j’attends le plus les films, il y avait aux côtés de Bong Joon-ho et Apichatpong Weerasethakul, Pete Docter et Mamoru Hosoda, le réalisateur de Ame & Yuki, Les enfants loups, qui est un film que j’adore.

Comment s’est passée votre rencontre avec Michael Dudok de Wit ?

J’ai été contactée par Pascal Caucheteux, le producteur de Why Not Production, qui a dû penser que l’univers du film pourrait me plaire. Il m’a proposé de faire une consultation sur ce projet qui leur tenait à cœur, mais dont ils considéraient que le scénario n’était pas abouti. La proposition m’a fait plaisir parce que j’aime beaucoup être au service de scénarios qui ne sont pas les miens et ça tombait bien en terme de calendrier – c’était au printemps 2011, j’étais en attente de financement pour Bird People et j’avais quelques semaines devant moi. Il m’a alors envoyé, non pas un scénario écrit mais une animatique du film, c’est-à-dire un storyboard animé de façon très succincte, en noir et blanc, mais qui pose le rythme des plans en temps réel – ici environ une heure quinze.

J’ai donc découvert à la fois une méthode de travail surprenante – commencer par dessiner plutôt qu’écrire – et les dessins de Michael qui, même sous la forme d’esquisses, étaient splendides. C’est un film avec lequel j’ai eu une intimité immédiate, sans doute parce qu’il est proche de mon propre rapport au monde : l’entremêlement de la vie et de la mort, la prédominance de la nature, le caractère féérique du récit. Et aussi la chose la plus asiatique du film peut être, la plus japonaise : le rapport à l’adversité. A un moment donné, des catastrophes surviennent, et il faut les accepter, y faire face, puis reconstruire… Je me sens étrangement proche de ce rapport fataliste et presque serein à certaines formes d’adversité.

Quel a été votre diagnostic sur le scénario du film ?

Pour moi, c’était assez simple. Le film était découpé en trois parties de durée presque équivalente : le début jusqu’à la première vision de la tortue ; puis la rencontre entre l’homme et la femme ; et enfin le dernier tiers, de l’arrivée de l’enfant à la fin du film. Or je trouvais le premier acte très convaincant. Il était découpé en six chapitres qui n’étaient pas des unités de temps mais des unités de récit. Chaque chapitre racontait centralement une seule chose (la tempête, la découverte de l’île, ou les premières tentatives de la quitter, etc…) et se déroulait, selon les cas, sur quelques heures ou plusieurs semaines, ce qui est une structure très particulière. J’ai donc proposé de retravailler les deux actes suivants, pour les enrichir et les faire mieux fonctionner, mais en s’appuyant sur ce que la première partie nous apprenait, en termes de structuration du récit. La bonne nouvelle, c’était qu’il n’y avait pas tant de nouvelles séquences à inventer donc à dessiner. Une dizaine peut-être. Par contre il fallait se mettre d’accord sur ce qu’on avait envie de raconter et tout replacer dans ce nouvel alignement, parfois en déplaçant certaines séquences, parfois en les réduisant ou au contraire en les développant davantage. Tout le monde, et en particulier Michael, a été convaincu par mes propositions, et c’est à partir de là qu’on s’est mis au travail tous les deux.

Image extraite du film La tortue rouge.
© 2016 Studio Ghibli – Wild Bunch – Why Not Productions – Arte France Cinéma – CN4 Productions – Belvision – Nippon Television Network – Dentsu – Hakuhodo DYMP – Walt Disney Japan – Mitsubishi – Toho / Propos recueillis par Bernard Génin.

Michael dit que vous avez dénoué des nœuds inextricables. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La tortue rouge est son premier long métrage et je pense qu’à ce moment-là de la conception du film, il était un peu déboussolé, pris à l’occasion dans des injonctions contradictoires. C’était beaucoup plus facile pour moi qui avais de la fraîcheur par rapport au scénario et aussi un peu plus de savoir-faire. Mais surtout j’adorais le projet, y compris certains temps vides ou contemplatifs, et rapidement une confiance est née entre nous. Il a vu qu’il pouvait s’appuyer sur moi pour l’aider de façon pragmatique à résoudre des questions qui lui semblaient complexes et dont les solutions étaient parfois simples. J’essayais le plus possible de recycler des éléments apportés par Michael parce qu’ils étaient splendides visuellement et obsédants pour lui. J’étais donc moins dans une position de scénariste qui invente une histoire que de co-scénariste qui aide le réalisateur à accoucher de son propre récit.

Pouvez-vous nous donner des exemples de séquences qui sont nées à ce moment-là ?

Tout ce qui entoure le personnage de la femme était moins développé. Elle était une figure, à peine un personnage. Différentes scènes sont nées afin de lui donner une forme d’autonomie. J’ai aussi insisté sur l’importance du face à face sous l’eau entre l’homme et la tortue, ce premier regard qu’ils échangent. A l’époque, le film s’arrêtait au départ du fils et j’ai proposé qu’on le prolonge pour montrer comment la vie des parents continue sans lui. J’aime beaucoup certains moments de leur vieillesse quand ils se regardent l’un l’autre ou qu’ils dansent ensemble. Mais surtout cela renforçait l’idée qu’on ne fait que passer sur terre, et Michael a très vite adoptée cette proposition.

Je crois qu’il y avait aussi moins de scènes avec l’enfant. On a développé son personnage alors qu’en revanche, l’épisode du tsunami a été réduit. Ça me semblait important que l’enfant comprenne d’où il vient, ce qui a donné la scène des dessins sur le sable. Je trouvais cela beau que les parents racontent à leur fils son héritage familial. La question de l’héritage, ou de la transmission, devenant un des fils souterrains du film. Pas seulement du point de vue familial mais aussi à un niveau plus cosmogénique : comment la nature, dont nous sommes tous issus, est une sorte d’héritage commun, qui nous transmet des choses qu’il nous faudra transmettre à notre tour.

Nous avons travaillé environ trois mois ensemble. Chaque fois qu’on était d’accord sur une nouvelle scène, Michael la dessinait pendant que j’avançais sur la suite du scénario. Ensuite il a filmé tous ses dessins au banc-titre et on les a intégrés au montage d’un nouvel animatique, à partir duquel le film a été réellement lancé en production. A ce moment-là, je suis retournée à mon propre film. Je n’ai découvert La tortue rouge – terminé et sonorisé – que des années plus tard. Et j’ai été éblouie à la fois par la beauté visuelle du film, l’extraordinaire qualité de son animation, et aussi tout le travail sur la bande son (le montage son, la musique, le mixage…) qui est évidemment capital pour ce film. Je trouve ce qu‘ils ont fait merveilleux.

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