Le studio Ghibli raconte sa collaboration avec la France pour le film d’animation « La tortue rouge »

Image extraite du film La Tortue Rouge
© 2016 Studio Ghibli – Wild Bunch – Why Not Productions – Arte France Cinéma – CN4 Productions – Belvision – Nippon Television Network – Dentsu – Hakuhodo DYMP – Walt Disney Japan – Mitsubishi – Toho / Propos recueillis par Bernard Génin.

Isao Takahata nous confie des détails sur l’écriture du scénario de La Tortue rouge. Un film regorgeant de symbolique sur la culture japonaise.

Est-ce grâce à son premier court métrage, Le Moine et le Poisson, que vous avez entendu parler de Michael ?

C’est exact. J’ai été séduit dans l’instant. Tout dans ce film était remarquable, le dessin comme l’animation, la musique comme le récit et le sens de l’humour. Le film m’a beaucoup plu. J’ai aussi admiré à quel point, par-delà le degré d’épure de son graphisme, le film était porteur d’un effet de réalité très perceptible.

Vous souvenez-vous de votre réaction quand vous avez découvert Father and Daughter ?

Bien évidemment. Je l’ai vu lors de sa diffusion télévisée, après qu’il ait reçu le grand prix au Festival international du film d’animation de Hiroshima. Ce fut pour moi un choc des plus plaisants. J’en ai été ému. J’y ai vu par excellence un chef-d’œuvre absolu dans le domaine du court métrage d’animation. Je l’ai tout de suite visionné à nouveau en vidéo. Et par la suite, je ne saurais dire combien de fois je l’ai revu. Tout dans ce film m’a impressionné. Lorsqu’en 2004, j’ai fait partie d’un jury, dans le cadre du Festival International du film d’animation de Chiavari, afin de désigner les meilleurs courts métrages d’animation du 21e siècle naissant, avec Michel Ocelot et les autres membres du jury, c’est sans réserves que nous avons choisi Father and Daughter.

En 2004, Michael était dans le jury du Festival International du film d’animation d’Hiroshima. L’avez-vous rencontré à cette occasion ?

Je l’ai rencontré une fois à Hiroshima. C’était sans doute cette année-là. Il était venu au Japon avec sa famille, et s’est blessé au pied sur les chemins de pèlerinage des sanctuaires de Kumano, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Je l’ai également croisé par la suite lors d’un festival à Séoul, où il donnait une conférence et animait un atelier. C’est à cette occasion que j’ai vu The Aroma of Tea, et je me souviens lui avoir fait part de mon espoir de le voir réaliser non pas des œuvres abstraites, mais à nouveau des films figuratifs.

Vous avez suggéré que son court métrage, Father and Daughter, soit distribué au Japon. A-t-il été diffusé à la télévision ou dans un programme de courts métrages ? Avez-vous eu l’occasion de rencontrer son public, et quelle a été sa réaction ?

Je ne suis pas le seul à avoir estimé qu’une diffusion au Japon était souhaitable. M. Suzuki, notamment, était bien du même avis. Lui aussi apprécie énormément ce film. Malheureusement, je n’ai pas pu, quant à moi, être vraiment utile à la sortie japonaise du film (à titre personnel, je suis opposé à l’intitulé actuel du film en japonais, Le Duo sur la falaise. L’intitulé juste, suivant le titre originel, devrait bel et bien être Father and Daughter). Pour autant que je sache, tous ceux qui ont vu le film, sans exception, ont été émus et séduits par ce chef-d’œuvre. C’est aussi pour le spectateur l’occasion de repenser son propre rapport à la vie et à la mort.

Vous avez suggéré au Studio Ghibli de produire le premier long métrage de Michael. A t-il été difficile de convaincre Mr Suzuki ?

C’est inexact. Ce n’est pas moi, mais bien Toshio Suzuki qui, en tout premier lieu, a voulu voir un long métrage d’animation réalisé par Michael, porté par la curiosité d’en voir le résultat. Je n’ai aucun talent de producteur. J’ai été surpris de voir mon nom figurer au générique du film La Tortue Rouge à un poste imposant qui me dépasse. Je suis loin d’avoir exercé un rôle aussi éminent. Je ne suis pas à la hauteur d’un tel crédit, hélas.

Avez-vous collaboré à l’écriture du scénario ? Avez-vous suivi le travail de conception du film en France ?

Nous autres, au sein du Studio Ghibli, avons toujours examiné ensemble les éléments envoyés par Michael, séquences de scénario et images vidéo, et en avons discuté pour confronter nos opinions. Puis, pour mettre en forme la position du Studio Ghibli, en réponse à Michael, je rédigeais la première version du texte en japonais. Voici quelle a été ma position. Je suis moi-même un créateur. J’ai toujours pensé qu’un film, sur le fond comme dans sa forme, devait être créé à l’idée de son réalisateur. Et de fait, j’ai eu la chance de pouvoir travailler toute ma carrière dans de telles conditions. C’est pourquoi, ayant moi-même bénéficié durant de longues années d’un tel mode de travail, j’ai considéré comme allant de soi que Michael puisse profiter lui aussi de telles prérogatives. C’est la raison pour laquelle, quant à moi, à chaque fois qu’il a fallu formuler un avis, j’ai souhaité aller pleinement dans le sens de Michael, et réfléchir en adoptant son point de vue. J’ai donc concentré tous mes efforts à comprendre Michael, et à tenter de saisir au plus près ses intentions, en me replongeant autant de fois que nécessaire dans les textes et les images vidéo qui nous parvenaient. Ensuite, je lui faisais part très directement de ce que j’avais saisi, apprécié, admiré, et m’efforçais ainsi de l’encourager dans son travail.

Que pensez-vous du studio d’animation français d’Angoulême ? Ressentez-vous des différences dans la manière de travailler entre les animateurs français de Prima Linea et des animateurs japonais du Studio Ghibli ?

Personnellement, je leur dis « Bravo ! ». Les films de Michael reposent sur un style très personnel, une stylisation qui, aussi épurée soit-elle, n’est pas purement graphique, mais induit une sensation de l’existence. Jusqu’à présent, il avait pris en charge l’ensemble de ce travail graphique seul. Le travail des animateurs a dû être très difficile pour mettre en mouvement ce style de dessin, tout en lui insufflant cette sensation de l’existence. Je tiens en haute considération l’équipe réunie au studio d’Angoulême, qui a remporté ce défi jusqu’au bout de manière éclatante. C’est là un point que je ne peux aborder qu’à la vue du film terminé, mais j’ai bien le sentiment que leur travail est d’une proximité sans précédent avec notre propre approche.

Comment résumeriez-vous La Tortue Rouge ?

Après Father and Daughter, Michael, en tant que réalisateur, a une nouvelle fois réussi à dépeindre une vérité essentielle de la vie. De manière épurée, profonde, et de façon tellement intense… C’est là un exploit qui a quelque chose de prodigieux. Il est impossible pour le genre humain de vivre coupé de toute correspondance, autrement dit d’un lien d’égalité avec le monde naturel. Et aux yeux de cet homme, ainsi que chacun s’en sera plus ou moins clairement rendu compte, sa femme, c’est bel et bien la tortue rouge. Telle est la façon dont je perçois le message de Michael. Je suis à la fois profondément admiratif et très attaché au constat qu’existe une résonance, au sujet du rapport de l’homme à la nature, entre une ligne continue qui sous-tend l’ensemble des films de Michael, et des conceptions qui existent au Japon depuis les temps les plus anciens. Je me permets également de signaler au public français que les récits d’unions entre humains et animaux sont nombreux au Japon : ainsi par exemple, la grand-mère de notre premier empereur est censée être un requin.

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