« La tortue rouge », une incroyable coproduction entre la France et le studio Ghibli

Image extraite du film La tortue rouge.
© 2016 Studio Ghibli – Wild Bunch – Why Not Productions – Arte France Cinéma – CN4 Productions – Belvision – Nippon Television Network – Dentsu – Hakuhodo DYMP – Walt Disney Japan – Mitsubishi – Toho / Propos recueillis par Bernard Génin.

Le réalisateur Michael Dudok De Wit se confie à travers cet entretien sur l’incroyable aventure du film La tortue rouge. Plus de dix ans se sont écoulés entre l’écriture du premier scénario et la sortie du film en salle de cinéma.

En 2004, tu es membre du jury au festival d’Hiroshima. Y as-tu rencontré Isao Takahata ?

En effet, nous avons eu un petit échange, il m’a même dit quelques mots en français. Il adore la culture française. Mais j’ai eu la surprise, peu de temps après, au festival de Séoul où je donnais une conférence sur mes travaux devant des étudiants, de le voir entrer avec un traducteur. Je pensais qu’il venait simplement me saluer, mais non, il a assisté à toute la conférence ! Peut-être pensait-il déjà à un travail en commun ?

En novembre 2006, tu reçois un mail inattendu de Tokyo.

Avec deux questions. Dans la première, le musée Ghibli me demandait si j’acceptais qu’ils distribuent au Japon Father and daughter. Dans la deuxième, si j’étais intéressé de travailler avec leur studio sur un long métrage de ma création… Jusque là, je n’avais pas vraiment pensé au long métrage. Certains de mes amis, à qui on a fait des promesses magnifiques, sont partis en Californie pour en revenir déçus après avoir vu leur projet remanié par les producteurs.

Mais avec Studio Ghibli, c’est différent. Ils m’ont précisé que l’on travaillerait sous la loi française, qui respecte le droit d’auteur. Ils m’ont donné plusieurs mois pour écrire le scénario. J’avais en germe le thème d’un homme sur une ile déserte, thème devenu entre temps super présent à la télévision, mais j’aimais cette idée archétypale. Non pas pour raconter comment il survit, car cela a déjà été fait si souvent. Il me fallait plus. J’ai donc fait un séjour sur une petite île des Seychelles, nom synonyme de vacances de luxe, mais j’ai fait un choix plus simple, logeant chez l’habitant, pendant dix jours. Je me promenais seul, à tout observer et à prendre des milliers de photos. Il n’était pas question de tomber dans le look « brochure de vacances ». Mon naufragé ne doit pas adorer l’endroit, il veut à tout prix rentrer chez lui, car l’île n’est pas si accueillante que ça. Il y a des dangers, l’extrême solitude, il pleut, il y a des insectes…

J’ai fait l’erreur classique : mon scénario était trop détaillé. Le film aurait été trop long. Mais la base de l’histoire était bonne. Dans l’étape suivante, l’animatique, qui est la version très simplifiée du film dessinée avec des images fixes sans mouvements, je découvrais que ce n’était parfois pas évident de traduire cette histoire en langage cinématographique. Il restait des nœuds que je n’arrivais pas à défaire. Alors Pascal Caucheteux, le producteur de Why Not Productions, m’a proposé de rencontrer Pascale Ferran. Pendant plusieurs mois, nous nous voyions régulièrement. On discutait à fond de l’ensemble du film, car nous ne pouvions pas changer des éléments isolés sans affecter tout le reste. Elle m’a aidé à identifier les problèmes et à rendre le narratif plus clair et puissant. En plus, elle aimait beaucoup l’idée que, dans les films d’animation, le montage est bien réfléchi avant la fabrication des plans et elle a fait de nombreuses bonnes contributions au montage.

Image extraite du film La tortue rouge.
© 2016 Studio Ghibli – Wild Bunch – Why Not Productions – Arte France Cinéma – CN4 Productions – Belvision – Nippon Television Network – Dentsu – Hakuhodo DYMP – Walt Disney Japan – Mitsubishi – Toho / Propos recueillis par Bernard Génin.

Les générations se suivent. L’enfant fait les mêmes gestes que le père, franchit les mêmes rochers, subit les mêmes dangers. Chez les animaux, c’est un autre cycle : le poisson mort nourrit les mouches, qui sont mangées par l’araignée, le crabe est emporté par l’oiseau etc…

C’est ça. Le film raconte l’histoire de façon linéaire et circulaire. Et il utilise le temps pour raconter l’absence de temps, un peu comme la musique peut mettre en valeur le silence. Ce film raconte aussi que la mort est une réalité. L’être humain a tendance à s’opposer à la mort, à avoir peur de la mort, à lutter contre et ceci est très sain et naturel. Et pourtant, simultanément, on peut avoir une compréhension intuitive très belle qu’on est la vie pure et qu’on n’a pas besoin de s’opposer à la mort. J’espère que le film transmet un peu ce sentiment.

Autre élément essentiel : l’apparition de la tortue, son côté mystérieux.

L’idée de créer une histoire avec une grande tortue est venue assez vite. Il fallait une créature de l’océan impressionnante et respectée. La tortue de mer est solitaire, paisible et elle disparaît pendant des longues périodes dans l’océan infini. Elle donne l’impression d’être proche de l’immortalité. Sa couleur rouge intense lui va bien et la créature ressort visuellement. Nous avons beaucoup réfléchi à quel point nous voulions garder un certain mystère dans l’histoire. Dans les films du Studio Ghibli, par exemple, la présence du mystérieux est très bien utilisée, je trouve. C’est évident que le mystère peut être magnifique, mais il ne doit pas être tel que le spectateur déconnecte de l’histoire. Il faut gérer cela de façon subtile… Et sans paroles, puisque le film est sans dialogue. C’est tellement simple d’expliquer les choses par une réplique, mais il y a d’autres moyens, bien sûr. Je pense en particulier aux comportements des personnages, à la musique et au montage. Et, en l’absence de dialogue, les sons des respirations des personnages deviennent naturellement plus expressifs.

Comment a été conçue la musique ?

Elle est très importante puisqu’il n’y a pas de dialogue. Je n’avais pas d’idée précise pour un style de musique spécifique. Laurent Perez del Mar a fait plusieurs propositions, dont une avec une très belle mélodie qui était parfaite pour le thème musical principal et j’étais ravi. Très vite, il a proposé de la musique à des endroits où je n’aurais pas pensé en mettre et il avait raison. Oui, il m’a souvent surpris.

Combien de temps a pris la réalisation ?

J’ai commencé en 2007 à écrire le scénario et à dessiner l’animatique, ce qui a pris beaucoup de temps, car c’est là que j’ai découvert que l’histoire ne coulait pas. Pendant plusieurs années, je travaillais en permanence (parfois seul, parfois avec des collaborateurs), mais trouvant que ça prenait beaucoup de temps. Et là, je dois remercier mes producteurs : ils me rassuraient et ne trouvaient pas étonnant que ce soit long, précisant que la phase la plus coûteuse viendrait après et qu’il valait mieux démarrer la production sur une histoire vraiment solide. Il y a des producteurs qui auraient décidé de résoudre l’histoire pendant la phase d’animation pour ne pas perdre trop de temps. Je comprends ça, mais ça aurait été trop risqué avec moi. La production a commencé en juillet 2013, à Prima Linea, à Angoulême. Tout le côté artistique a été assuré par Studio Ghibli, Why Not et Prima Linea où j’ai pu m’appuyer sur un excellent chef animateur, Jean Christophe Lie, le réalisateur de Zarafa. Il avait aussi une vraie sensibilité de réalisateur et il a été un des piliers du film.

Ces articles pourraient vous plaire :

Partager l’article

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *