« Le cercle des petits philosophes », une ode à la réflexion et au pouvoir de l’éducation

Image extraite du film Le cercle des petits philosophes.
© 2019 L’Atelier distribution

La réalisatrice, Cécile Denjean, nous raconte son émerveillement face aux réflexions philosophiques des différents enfants filmés pour son documentaire Le cercle des petits philosophes.

NOTE DE LA RÉALISATRICE : CÉCILE DENJEAN

Lorsque j’ai rencontré Frédéric Lenoir, il avait déjà commencé à animer des dizaines d’ateliers de philosophie avec des enfants. Il trouvait cette pratique tellement fructueuse qu’il envisageait de créer une fondation pour l’étendre à large échelle. Persuadé que cet enseignement pourrait changer le monde en une génération, il m’a proposé de réaliser un film qui montrerait ce que vivent les enfants qui ont la chance de faire régulièrement ces ateliers de méditation et de philosophie à l’école. Nous avons tourné dans deux écoles primaires de la région parisienne, de décembre à juillet, avec des enfants de 7 à 11 ans. Et nous avons tenté de saisir les idées, les rêves, et les émotions qui passaient à l’intérieur de leurs têtes.

Émotion de voir les pensées jaillir, se frotter l’une à l’autre, se modifier, s’approfondir, dans un va-et-vient permanent entre individuel et collectif. Émerveillement lorsque pour la première fois un enfant ose formuler une pensée propre, originale, bien à lui, qu’il a élaborée lui-même, qui ne soit pas la répétition de celle d’un plus grand que lui. Espoir de voir qu’on peut enseigner l’esprit critique aux enfants, les entraîner à ne croire ni n’importe quoi ni n’importe qui, à préciser leur opinion, à argumenter, à s’écouter les uns les autres. Étonnement de recueillir leurs voix intérieures, brutes, sans filtre, parfois violentes, parfois immensément tendres.

La philosophie pour enfants n’est pas une invention de Frédéric Lenoir. Développée par le philosophe et pédagogue Matthew Lipman, elle est pratiquée depuis les années 1970 aux États-Unis. En France, certains enseignants la proposent ici et là, mais de manière très sporadique, car cet enseignement se heurte encore à des résistances, même si l’association SEVE a reçu en 2017 l’agrément de l’Éducation Nationale. L’originalité de Frédéric Lenoir est de précéder l’atelier philo par un petit temps de méditation.

C’est un temps court, d’introspection, de calme. Beaucoup d’enfants ramèneront cette pratique à la maison, la proposeront même à leurs parents ! Deux ans après le tournage, certains enfants continuent de méditer. Très vite, cette pratique est devenue pour eux une habitude.

J’ai choisi de filmer ces ateliers philosophie-méditation dans deux « écoles-monde », dans lesquelles les cultures d’origine et les milieux sociaux sont tellement mélangés qu’on les oublie pour se focaliser sur l’essentiel : À quoi ça sert de vivre ? Est-ce que c’est dur d’être amoureux ? Les ateliers philosophiques de Frédéric Lenoir couvrent le large spectre des questionnements enfantins. Ils sont le prétexte à une réflexion qui s’étire au-delà des seuls moments dédiés aux ateliers. Lorsque le philosophe s’en va, les enfants continuent à réfléchir, à s’étonner, à s’interroger. Et c’est peut-être là, dans cette pensée vivante et spontanée, qu’émerge réellement leur personnalité. Comment réagir face à un conflit ? à une bagarre de récré ? à un deuil dans la famille ? Quelle attitude adopter face au terrorisme, ou confronté aux événements de l’actualité qui pourraient impacter de près ou de loin la vie scolaire ? 

Autour de Frédéric Lenoir, sous le regard des enseignants Olivier Lechevrel (CM2 / Paris, 10ème arrondissement) et de Nora Gauthier (CE1-CE2 / Pantin), les enfants ont appris au fil de l’année à s’écouter, à argumenter, à convaincre, et même à douter. Et c’est épatant de voir combien il est simple pour un enfant, de fermer les yeux pour s’écouter respirer, et d’aller à la recherche de sa pensée propre. Dans le monde clos, protégé de l’école, les ateliers de méditation-philosophie résonnent de l’écho du monde. De cette écoute bienveillante jaillit un espoir, un chemin possible à trouver. Qu’est-ce que vous voulez changer dans le monde ? demande Frédéric Lenoir. – Qu’il n’y ait plus d’attentats ! – Qu’il n’y ait plus de pollution ! -Et que moi je change aussi… Nous voyons les enfants éclore tout au long de l’année, muscler leur esprit, mettre des mots sur leurs intuitions, leurs sentiments, leurs désirs. Puisse ce film nous donner envie à notre tour, à l’école mais aussi en famille, d’écouter les enfants, d’éveiller la créativité de leurs idées… car ce sont eux les vrais philosophes.

« Ce qui me fait le plus peur dans la mort, c’est d’arrêter de penser. Moi j’aime bien penser », dit Maya, 10 ans, avec un sourire. « Il y a deux mondes. Le monde de mes rêves, et la réalité. Quand je réfléchis, j’essaie de coller les deux mondes ensemble, et je vois ce que ça fait, et ça me fait réfléchir. » répond Rose, 10 ans. Dans ce film, il s’agit tout simplement de voir les enfants penser, de les écouter réfléchir, de les suivre dans leurs rêveries, d’écouter leurs voies intérieures. C’est une plongée dans le temps de l’enfance, où les rêves se mêlent à la réalité sans qu’on s’en rende compte. « Nos pensées sont individuelles, mais s’exprimer par la philosophie, ça nous aide à voir les choses autrement, en groupe. » conclut Jeanne, 10 ans. Au-delà de ce voyage naît la conviction que ce temps d’échange est indispensable. Précieux. Parce qu’il articule l’individuel et le collectif à une époque où ce dialogue entre les individus et le groupe semble plus que jamais nécessaire. Pour changer le monde. Ensemble.

Image extraite du film Le cercle des petits philosophes.
© 2019 L’Atelier distribution

LE MOT DE FRÉDÉRIC LENOIR

« Pourquoi attendre la classe de terminale pour aborder le questionnement des thèmes existentiels : l’amour, le respect, le bonheur, le sens de la vie, les émotions, etc. ? Les ateliers philosophiques que je mène montrent une étonnante capacité des enfants à penser. Au-delà des concepts, ils y apprennent les règles du débat d’idées et développent leur discernement et une réflexion personnelle. Parce que les enfants ont souvent du mal à se concentrer, je fais précéder les ateliers d’une courte méditation, ou pratique de l’attention, qui permet à chacun de retrouver sa réceptivité sensorielle et d’être présent dans l’instant. 

C’est un travail utile dans le contexte actuel d’apprendre aux enfants à verbaliser ce qu’ils ressentent, d’approfondir leur réflexion sur ce qui se passe, sur les liens sociaux, sur la violence dans la société. Cela leur permet un travail d’élaboration de la pensée, très utile dans le contexte actuel et permet à long terme de faire des citoyens responsables. Platon et Aristote nous disent que la philosophie commence avec l’étonnement. Or les enfants ont cette grande qualité : ils s’étonnent ! Les adultes et les adolescents s’étonnent beaucoup moins. C’est presque plus facile de faire de la philosophie avec un enfant de 7 ans qu’avec un adolescent de 15 ans. 

Comme le rappelait Montaigne, on devrait surtout proposer aux enfants, dès le plus jeune âge, d’avoir une tête bien faite, plutôt qu’une tête bien pleine. Plutôt que d’assimiler des concepts (ce qui se fait en terminale), les enfants pourraient apprendre à débattre en respectant des règles, à développer l’esprit critique, le discernement, ainsi qu’une pensée personnelle reposant sur des arguments rationnels, et pas sur des croyances ou des opinions. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu qu’il faudrait commencer à philosopher non pas en classe de terminale, mais à l’école primaire… or cela se pratique déjà, de manière certes marginale, depuis une trentaine d’années, et je l’ignorais ! ».

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