« Ailleurs », primé au Festival International du film d’animation d’Annecy

Image extraite du film Ailleurs
2019 AWAY - BILIBABA

Le réalisateur letton d’Ailleurs, Gints Zilbalodis, nous explique pourquoi son nom est le seul à figurer au générique de son film d’animation !

Vous avez sûrement le générique le plus court de tous les temps : il n’y a que vous ! C’était un choix personnel de faire tout vous-même ou cela a été décidé par le budget ?

Beaucoup de raisons sont intervenues dans ce choix. J’avais en effet un tout petit budget mais je pense aussi que je manquais d’expérience pour être capable de diriger une équipe. Je me disais que faire mon premier film seul était aussi l’occasion d’explorer par moi-même tous les différents postes et les différentes étapes. Par ailleurs, je ne pense pas que des gens m’auraient donné les rênes d’un projet qui impliquait de nombreuses personnes à ce moment-là de ma carrière donc je ne l’ai jamais envisagé autrement. Il y avait une sorte de continuité avec mes courts métrages, que j’ai également réalisés seul. Cette indépendance m’autorise plus de liberté. Et il est parfois plus simple de faire les choses soi-même plutôt que de les expliquer à quelqu’un d’autre…

En ayant essayé tous les postes, qu’est-ce qui vous a le plus plu au bout du compte ?

Tout est intéressant ! Et je n’avais pas le temps de m’ennuyer ! Chaque jour était différent : un matin, je dessinais, l’après-midi je me lançais dans la réalisation de modèle en 3D… La musique et le son sont peut-être les postes les plus gratifiants car le résultat est immédiat. Vous pouvez créer quelque chose en une journée et cela a plus d’impact qu’une animation sur laquelle vous travaillez depuis plusieurs mois ! C’est encourageant d’avoir quelque chose de terminé quand le reste ne semble pas réellement progresser. Mais j’ai vraiment aimé toutes les étapes. Et, à la fin, quand j’ai tout assemblé, j’ai ressenti une réelle joie, une vraie fierté.

Vous avez réalisé plusieurs courts métrages, d’animation mais aussi de fiction en prises de vue réelles. Que vous ont-ils appris ?

Je ne suis jamais allé à l’université donc ces courts métrages, ainsi que ce long, ont été ma manière d’apprendre l’animation. Je me suis essayé à différentes techniques et Ailleurs a été l’occasion d’en combiner plusieurs. Dans mon court en prises de vue réelles, j’utilisais une caméra portée et j’ai voulu retranscrire cette sensation presque documentaire dans Ailleurs par moment, qu’on en ressente la spontanéité. Mon film ne cherche pas pour autant le réalisme, ce qui apporte un décalage qui me vient de la 2D. Pour moi, le meilleur moyen d’apprendre reste de faire.

Pourquoi le choix de la 3D plutôt que de la 2D finalement pour ce premier film ?

Mes talents de dessinateur sont assez limités. S’ils avaient été meilleurs, j’aurais probablement préféré la 2D. Mais je voulais aussi me permettre beaucoup de points de vue différents dans une même scène, et la 2D l’autorise assez peu. Et je ne suis pas vraiment sûr qu’il soit possible de faire un long métrage en 2D seul… En tout cas, la 3D, avec la possibilité de répéter des modèles, comme dans la séquence des chats noirs que je pouvais « copier/coller », m’a permis de gagner énormément de temps. J’ai beaucoup travaillé autour de l’idée de la répétition, autant visuellement que musicalement. Cela a bien sûr facilité mon travail mais surtout j’espère que cette simplicité donne au film une sensation presque hypnotique.

Ailleurs est le prolongement de votre court métrage Oasis…

Oasis a toujours fait partie du projet, il constitue le premier chapitre d’Ailleurs qui en comporte quatre. Ce court m’a servi à la fois de test pour voir ce que j’étais capable de faire, et de bande-démo pour trouver des financements. L’histoire en elle-même est venue de ses limites. Le film est muet, ce qui laisse plus de place à l’image et à la musique, et le rend finalement plus universel. J’ai voulu poursuivre dans cette direction, il me fallait donc un récit assez limpide. Un garçon seul sur une île qui doit rejoindre la civilisation en la traversant et en fuyant une sorte de monstre, c’est assez simple à comprendre sans mots. J’ai travaillé avec un scénario qui n’était pas entièrement développé. J’avais écrit les grandes lignes de l’histoire mais il s’est avéré qu’elle a beaucoup évolué. Je connaissais la destination ainsi que certaines étapes du parcours du personnage mais les détails se sont élaborés au fur et à mesure, chapitre par chapitre, chronologiquement. De même, le monstre qui le poursuit, cette force de la nature, je ne souhaitais pas en donner une explication concrète et définitive dans le film, ni essayer de totalement le comprendre. Il peut être interprété différemment par chaque spectateur. Il est bien sûr la raison pour laquelle le personnage va de l’avant mais c’était aussi, pour moi, une sorte d’incarnation de la pression et de l’anxiété que je ressentais en faisant le film – et que chacun d’entre nous peut subir dans sa vie.

Donc le héros de cette histoire, c’est un peu vous ?

Le voyage solitaire de mon personnage vers la civilisation, oui c’était un peu le mien avec Ailleurs ! Cette réalisation a été un long processus isolé, parfois angoissant, qui m’a finalement amené vers les autres, les spectateurs, quand j’ai présenté le film dans les différents festivals. C’est une aventure personnelle aussi, dans ma vie, j’ai dû apprendre à communiquer avec le reste du monde, à trouver mon propre chemin. Je pense que c’est important de faire des films liés à notre propre expérience. Ce n’était pas du tout conscient pendant les trois ans et demi de travail qu’ont nécessité le film, mais une fois fini, c’est là que la dimension personnelle d’Ailleurs m’est apparue ! Je pense que je poursuivrai ces thématiques sur mon prochain film, Flow. Il s’agira de l’histoire d’un chat terrorisé par l’eau, embarqué sur un bateau avec d’autres animaux. Un récit de collaboration qui sera en partie le reflet de ma propre découverte du travail en équipe.

De quoi vous êtes-vous inspiré pour créer cette musique à la fois émouvante et envoûtante ?

C’est la première fois que je composais de la musique. Sur mes courts métrages, je travaillais avec un compositeur mais cette fois je voulais quelque chose de différent. De moins parfait (rires). Moins classique, moins instrumental, plus minimaliste. Ne jouant d’aucun instrument moi-même, j’ai créé toute cette partition électroniquement à base de schémas, de sons combinés. Je l’ai aussi créée avant de faire l’animation, ce qui m’a permis de rythmer mon film. Je ne voulais pas de « temp track », de musiques préexistantes qui auraient pu m’influencer ou à l’inverse d’essayer de faire correspondre la musique à une scène en particulier. Je l’écoutais en travaillant à l’image, elle a vraiment participé au processus créatif du visuel, me donnant ainsi encore plus de liberté, à la réalisation et au montage.

Sans réel scénario sur lequel s’appuyer, le film s’est-il, en quelque sorte, créé au montage ?

Tout à fait. La plupart des films d’animation avance sur une base de storyboards, mais je n’en avais pas pour Ailleurs. C’est donc au montage que tout s’est décidé. J’ai d’abord créé les environnements en 3D, dans lesquels j’ai placé mes personnages que j’ai ensuite animés, sans idées préconçues des angles de caméras ou de la durée des plans. Ainsi, mes personnages bougeaient dans l’environnement et je filmais la scène à de nombreuses reprises, sous plusieurs angles. Un peu comme dans un documentaire, je disposais de beaucoup de matériel et c’est au moment du montage que j’ai opéré mes choix. C’est une méthode assez inhabituelle dans l’animation où normalement la précision est reine et l’improvisation a peu sa place. Mais je pouvais me le permettre parce que j’étais seul.

L’influence de la prise de vues réelles, notamment dans les mouvements de caméra, est très sensible. Quels types de films vous ont inspiré ?

Comme le film est muet, il fallait que la mise en scène soit très expressive. J’étais vraiment à la recherche de la nuance que l’on retrouve dans la prise de vues réelles. Ma plus grande inspiration est le travail d’Alfonso Cuarón car il est connu pour ses longs plans et l’utilisation de la caméra portée. Paul Thomas Anderson et Martin Scorsese ont aussi été importants dans mon processus créatif. Je crois qu’Ailleurs aurait pu être réalisé en prise de vues réelles mais la 3D permettait de tenter encore plus de choses et d’autoriser la caméra à avoir une conscience qui lui était propre. D’ailleurs, du côté de l’animation, je me suis beaucoup inspiré de la série de Hayao Miyazaki, Conan, le fils du futur, qu’il a réalisé à la fin des années 1970. Je suis très sensible au rythme japonais, plus lent que les films occidentaux. Ils laissent le temps d’observer la nature, de profiter de l’instant, de réfléchir, de ressentir. L’émotion n’est pas guidée exclusivement par la musique ou ce que l’on voit à l’écran, c’est bien plus profond.

Le jeu vidéo a aussi son importance ici, non ?

Oui, deux jeux m’ont fortement marqué : Journey et Shadow of the Colossus. J’aime aussi ces jeux vidéo indépendants, muets, où le personnage se balade dans un environnement, sans réelle direction. C’est entre une exploration des lieux et une exploration intérieure. Il y a également une tendance dans ces jeux à ne surtout pas rechercher le réalisme. Tout est simplifié. C’est évidemment moins cher, plus simple et plus rapide à faire mais je trouve aussi que ça laisse une plus grande part à l’imagination et il s’avère qu’ils vieillissent bien mieux que ceux qui cherchent le détail à tout prix. Je crois que c’est la même chose dans l’animation.

Vous avez réalisé Ailleurs en trois ans et demi, ce qui est, surtout seul, assez court pour un long métrage d’animation. Comment avez-vous trouvé cette volonté d’endurance et de constance dans le travail ?

C’était mon projet donc je pense que ça m’a un peu aidé à me motiver. S’il s’était agi d’une commande, j’aurais probablement été plus procrastinateur ! Et puis, après un an dessus, on a réellement envie de finir sinon cela aurait ressemblé à une immense perte de temps (rires). Et j’avais reçu une aide financière donc il fallait que je rende quelque chose. J’ai pu être aussi rapide notamment parce que mon budget était serré, s’il avait été plus élevé j’aurais dû régulièrement me justifier auprès de nombreuses personnes ce qui m’aurait fait perdre du temps. C’est une drôle de période de ma vie, je n’avais pas d’autre job, je ne faisais que ça, presque tous les jours, du matin au soir et du soir au matin. Soyons francs, j’ai procédé comme ça une fois, mais je ne le referai pas (rires) !

Qu’avez-vous retiré de cette expérience, hormis un long métrage bien sûr ?

Tellement de choses ! Mais j’en ai surtout retenu une : il ne faut ne pas avoir peur de montrer son travail. Et le plus tôt possible, tant qu’il est encore temps d’agir ! J’avais tendance à être un peu protecteur de mon travail, je n’étais pas à l’aise avec l’idée de montrer quelque chose d’inabouti. Je souhaitais que tout soit parfait et partager mon travail en cours de route me rendais particulièrement vulnérable. Mais en réalité, c’est essentiel. Surtout sur un projet de cette ampleur, étalé sur autant de temps. Et puis, j’ai aussi appris à sauvegarder mon travail plus régulièrement (rires).

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