Le réalisateur Adam Elliot met la pâte à modeler au service de nos émotions dans « Mary et Max »

Image extraite du film Mary et Max.
© 2009 Gaumont Distribution

Adam Elliot, réalisateur du film en stop motion Mary et Max, nous raconte son histoire et l’incroyable réalisation de son dernier film d’animation.

MARY ET MAX est mon quatrième film d’animation réalisé en pâte à modeler, et à ce jour, chacun de mes projets a exploré la vie d’une personne singulière. Avec MARY ET MAX, je dépeins simultanément deux biographies. Ce film représente, à mes yeux, mon troisième plus grand pas en avant sur ces dix dernières années en matière de création artistique. Mes trois courts-métrages, UNCLE, COUSIN et BROTHER, sont très similaires en termes de style, de structure et de rendu. Mon objectif avec ces films était de raconter des mini-biographies très drôles, minimales et statiques, qui poussaient le public à voir et à célébrer les qualités exceptionnelles de gens « ordinaires ». HARVIE KRUMPET, mon film suivant, était une exploration bien plus approfondie de la vie d’une personne. La production était plus ambitieuse, l’animation plus dynamique et la structure narrative plus complexe. Avec HARVIE, j’ai à nouveau cherché à conserver la simplicité de mon style visuel, en gardant un narrateur unique chargé de raconter l’histoire. Une fois encore, celle-ci abordait les thèmes de la différence, l’acceptation et la solitude. 

Avec MARY ET MAX, j’espère avoir conservé mon style visuel, mais en racontant l’histoire de façon plus dynamique pour alimenter l’intérêt des spectateurs sur la durée. Ce film explore lui aussi notre désir d’acceptation et d’amour, par-delà toutes nos différences ! Il y a également un narrateur, le merveilleux Barry Humphries, mais j’y ai ajouté les voix des deux protagonistes, Mary (Toni Collette) et Max (Philip Seymour Hoffman). J’ai toujours évité de trop m’auto – analyser, par peur de rendre mon travail trop prévisible et trop construit. J’écris avec le cœur, animé du désir d’une compassion partagée avec le spectateur.

Je n’écris pas en visant une niche de public spécifique, j’essaye plutôt de raconter des histoires universelles. Je m’imagine en train de raconter l’histoire de la vie de quelqu’un à un grand groupe hétéroclite de personnes provenant de nombreux pays différents, autour d’un gigantesque feu de camp. Je m’efforce de retenir l’attention de tout le monde en émaillant l’histoire de moments humoristiques et mélancoliques. Je tâche de composer un mélange équilibré de comédie et de tragédie, d’humour et d’émotion, de façon rythmée et efficace. Dans chaque film, j’essaye de solliciter TOUS les sens, pas seulement l’ouïe et la vue ! Mon travail consiste à « nourrir le public avec un compost de stimulations sensorielles ». 

Il m’est très difficile de comparer MARY ET MAX à d’autres films. Je ne vois aucune production animée comparable. De fait, je trouve davantage de similitudes avec des films avec acteurs qu’avec des films d’animation (84 CHARING CROSS ROAD, MONSIEUR SCHMIDT).

Ma créativité narrative est principalement influencée par d’autres formes artistiques. Je m’inspire par exemple de la photographe portraitiste Diane Arbus, de l’acteur Barry Humphries et du dessinateur et philosophe Michael Leunig.

J’aborde chaque nouveau film comme un canevas vide que j’essaye de garnir avec un contenu original, percutant et souvent tabou. J’espère vraiment et je sens que MARY ET MAX va repousser les limites et livrer au public quelque chose de rafraîchissant et de différent que l’univers de l’animation n’a pas encore proposé. Il y a de nombreux moments sombres dans le film, le noir est très présent dans la palette de couleurs pour souligner l’esprit de l’histoire. Deux mondes simultanés sont représentés : le monde de banlieue australienne de MARY et le monde urbain de New York de MAX. L’univers de MARY est dans des tons bruns, celui de MAX dans des tons noirs, blancs et gris. Chacun comprend des touches de rouges, accentuant le symbolisme de certains objets. Une palette de couleurs réduite au minimum me permet de renforcer le style visuel et de le distinguer de l’univers loufoque, farfelu et multicolore de la plupart des films d’animation.

Pour finir, MARY ET MAX fait appel à des mouvements de caméra beaucoup plus dynamiques que mes précédents films, résultat de ma collaboration avec le directeur de la photo Gerald Thompson, également spécialiste des prises de vue en « motion control ». Gerald a rendu le film bien plus puissant : ses mouvements de caméra fluides et harmonieux et ses dispositifs d’éclairage rendent les deux univers bien plus réalistes que dans les films d’animation traditionnels. Il a appliqué des principes du « live action » pour créer une esthétique originale.

MAX est inspiré de mon correspondant à New York, à qui j’écris depuis plus de vingt ans. C’est quelqu’un de passionnant et la création de ce film lui rend hommage, ainsi qu’à l’archétype du perdant auquel de si nombreux spectateurs s’identifient. Comme Max, il est atteint du syndrome d’Asperger et j’ai effectué de longues recherches à ce sujet. Mon but est non seulement de donner un éclairage sur les « Aspies », mais aussi de démonter les idées fausses que l’on a souvent – y compris les soi-disant spécialistes – sur eux.

Beaucoup de gens disent qu’ils se sentent souvent différents, qu’ils ne trouvent pas leur place. J’en fais partie. Malgré le succès, la reconnaissance et l’acceptation dont bénéficient mes films, je me sens encore souvent seul, sur une autre longueur d’onde que le reste du monde. Je me sens souvent triste, tourmenté, sûr de rien et je trouve le monde trop souvent injuste. Je comprends réellement ce que ressentent les gens perdus, laissés pour compte, marginalisés et mélancoliques. Je suis attiré par ces gens-là et par leurs histoires ; c’est plus fort que moi. Je les trouve fascinants, depuis le plus ordinaire jusqu’au plus bizarre. C’est avec eux que je me sens en lien et ce sont leurs histoires que j’ai envie d’écouter et de voir sur grand écran.

Et je SAIS que le public aussi veut entendre ces histoires de différences ; des milliers de gens du monde entier me l’ont dit au fil des dix dernières années. J’ai chez moi une boîte qui contient les centaines de coupures de presse, d’emails et de lettres que j’ai reçus concernant mon travail. Presque chaque jour, nous recevons du courrier de fans ; beaucoup nous est parvenu bien avant l’attribution de l’Oscar. Nous recevons des lettres bouleversantes de personnes atteintes du syndrome de Tourette, de la maladie d’Alzheimer ou souffrant de dépression. Des jeunes ou des personnes âgées, de Suède ou de Tokyo. Des gens qui ont vu les films sur grand écran, dans l’avion, dans un festival de cinéma, sur Internet ou même sur leur téléphone. Tous sont touchés par mes films. Pour certains, ceux-ci ont changé leur vie, d’autres y ont simplement trouvé un peu de réconfort.

Tout récemment, j’ai reçu l’appel d’une femme me racontant que sa meilleure amie avait décidé de regarder HARVIE KRUMPET en boucle pendant ses dernières heures avant de mourir d’un cancer. Je suis souvent bouleversé par ces témoignages, qui me rappellent constamment le pouvoir des histoires. Les réactions des gens sont une grande leçon d’humilité et j’ai l’immense chance d’avoir la capacité et la possibilité de continuer à apporter une petite amélioration à la vie des gens.

Je ne fais pas des films dans le but d’obtenir ces réactions ; elles sont réelles, inattendues et me parviennent tous les jours. Je dis souvent que si je pouvais, je ferais mes films gratuitement. Aucune somme d’argent n’achètera jamais le sentiment qu’on éprouve, assis parmi les spectateurs qui regardent un film dans lequel on a mis toute son âme, quand on sait qu’ils sont non seulement distraits, mais aussi nourris et émus. J’ai appris, il y a longtemps maintenant, qu’avoir un effet positif sur ses semblables procurait un merveilleux sentiment de satisfaction et de privilège.

Alors, qui sait ? Je fais peut-être mes films pour des raisons purement égoïstes. Quoi qu’il en soit, je ne suis bon à rien d’autre, alors pour l’heure, la lente et coûteuse besogne qui consiste à faire bouger des morceaux de pâte à modeler semble être mon lot.

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