« Mia et le Lion Blanc », un film engagé pour dénoncer le marché de la chasse en Afrique du Sud

Image extraite du film Mia et le lion blanc
© 2018 Studiocanal GmbH / Patrick Toselli

Le spécialiste des lions, Kevin Richardson, raconte sa participation pour l’écriture et le tournage du film Mia et le Lion Blanc. Un film militant pour dénoncer les méthodes de chasse cruelles des animaux sauvages en Afrique du Sud.

Comment avez-vous rejoint le projet ?

J’ai rencontré Gilles de Maistre en 2012. J’étais en train de déménager mon refuge et il voulait me filmer au travail. Comme ce n’était pas possible, il m’a demandé si j’avais d’autres idées. Je lui ai demandé s’il avait déjà entendu parler du business du canned hunting, la chasse en enclos, or Gilles venait de visiter un élevage de lions apparemment bien sous tous rapports. Mais je connaissais cet endroit. Quand je lui ai expliqué que ces lions servaient de chair à canon pour la chasse, il était horrifié. On a envisagé de faire un documentaire sur le sujet, puis on a réalisé que ça reviendrait à prêcher des convertis. Et que nous serions beaucoup plus efficaces en faisant une fiction, un drame familial qui parlerait à tout le monde et que tout le monde voudrait voir en tant que spectacle, et pas seulement pour la cause qu’il défend. On a alors commencé à réfléchir à la forme que le film prendrait et décidé que ce serait génial de raconter une histoire de trahison : l’histoire d’un père qui trahit son propre enfant à propos d’un lion, parce que c’est un peu ce qui s’était passé dans cette famille que Gilles avait rencontrée. Sauf que ce n’est pas possible de filmer une histoire d’amitié entre un enfant et un lion. À moins, peut-être, qu’on prenne le lion bébé et qu’il « adopte » l’enfant… Soudain, ces idées un peu folles sont devenues réalité. Un jour Gilles m’a appelé de Paris et m’a dit « Ça y est, on va faire le film ! » A partir de là, ça a été un tourbillon. Une fiction de cette nature est beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre qu’un documentaire, surtout si vous décidez, comme on l’a fait, qu’on ne peut pas tricher sur la relation entre l’enfant et le lion. Il fallait que cette amitié soit réelle, pour que le public s’investisse émotionnellement et ressente pleinement le choc de la trahison. L’idée, c’était de provoquer la colère chez les spectateurs, afin de les pousser à agir. Donc, il fallait absolument que la petite fille noue une relation avec le lion dès son plus jeune âge. J’avais songé à utiliser mon propre fils pour le rôle, mais il était encore trop jeune. Du coup, il a fallu trouver quelqu’un d’assez fou pour nous confier son enfant pour une durée de trois ans et accepter de le laisser grandir avec des lions. Il était là, le vrai défi : non pas trouver les enfants qu’il fallait, là-dessus je ne me faisais pas de souci ; mais trouver les bons parents.

Quel entraînement ont suivi Daniah et Ryan ?

Très intensif ! Trois ans de travail, à raison de trois séances d’imprégnation par semaine – des séances de deux ou trois heures à chaque fois. Au tout début, j’ai dû m’impliquer à fond car il fallait poser les règles de base. Dans un deuxième temps, j’ai pu passer le relais à une équipe qui assurait une ou deux des trois sessions par semaine. Quand le lion a atteint un certain âge, j’ai dû revenir à plein temps parce que certains jalons devaient être franchis et il y avait certaines choses que je devais apprendre aux enfants sur les lions et sur la façon de se comporter avec eux. C’était un défi pour moi aussi : je sais comment me conduire en présence d’un lion ; mais là, il fallait transmettre cela à ces enfants, tout en gardant à l’esprit que ce sont des enfants et qu’ils n’ont pas l’expérience que nous avons en tant qu’adultes, que vous devez savoir quand vous interposer et quand les laisser se débrouiller. C’est un équilibre délicat à trouver. Bien qu’avec les années, les enfants soient presque devenus des « mini-moi » dans leur façon de travailler, ils ont chacun leur personnalité, l’un est une fille, l’autre est un garçon. Les lions le sentent, ils ne sont pas stupides. Les lions connaissent aussi vos intentions et vous ne pouvez pas tricher là-dessus. Vous pouvez m’embobiner moi, et encore… Mais pas les lions. C’est pour ça que j’ai maintenant des cheveux blancs (rires).

Parlez-nous de votre relation de travail avec Gilles de Maistre…

On s’est tout de suite bien entendus quand il a fait ce documentaire sur moi, l’Homme qui murmure à l’oreille des lions. On a la même façon de voir les choses. Sans Gilles aux commandes, je ne pense pas que ce film eût été possible. Il a une grande capacité d’adaptation et il sait écouter.

Comment s’est passé le travail avec les animaux ?

Dès le départ, j’ai prévenu Gilles que je ne transigerais pas sur leur bien-être. Le planning de production s’est construit autour de cet impératif. Les animaux ont été traités comme le reste du casting, voire mieux ! J’y ai veillé, mais je me suis senti vraiment soutenu par la production, de STUDIOCANAL à Galatée Films, en passant par Outside Films. J’ai participé à d’autres tournages, où ça ne se passe pas de cette manière : les animaux doivent faire leur boulot et, s’ils n’y parviennent pas, la pression monte… Nous, on avait jusqu’à trois jours pour mettre en boîte certaines scènes : en général, il nous suffisait d’une journée, mais au cas où ça ne fonctionnait pas, on avait deux, voire trois jours pour se retourner. J’ai dit à Gilles que le souci d’authenticité supposait un projet au long cours. Si vous prévoyez de le faire sur douze semaines seulement, alors il y aura beaucoup de fonds verts et de trucages. Il n’y aura pas d’intimité entre cette petite fille et ce lion. Dans Mia et le lion blanc, ce que l’on voit à l’écran est réel : c’est un lion et une petite fille, et ils ont noué un vrai lien.

Image extraite du film Mia et le lion blanc.
Copyright Studiocanal GmbH / Coert Wiechers

Avez-vous songé à recourir à différents lions de différents âges ?

Cela a été suggéré dans les premiers temps : ne pourrait-on pas apprendre à Daniah à se comporter en présence d’un lionceau ? Puis on passerait à un lion de 6 mois, puis à un lion âgé d’1 an, puis à un lion de 3 ans. Je m’y suis opposé, parce que ce lion de 3 ans aurait été un inconnu. Si vous faites un film sur le lien qui se crée entre une petite fille et un lion, il doit y avoir un lien entre cette petite fille et le lion. Et puis, je n’étais pas d’accord pour prendre des lionceaux pour ensuite me débarrasser d’eux. Il était entendu que les lions achetés pour cette production resteraient les nôtres jusqu’à la fin de leur existence. Il nous fallait nous approprier ces animaux et leur porter secours, en quelque sorte. Parce qu’on les a achetés à ces éleveurs sans scrupules que l’on dénonce dans le film.

La chasse au lion n’est-elle pas illégale en Afrique du Sud ?

Non, c’est tout à fait légal de chasser le lion, spécialement les lions captifs élevés dans le but d’alimenter cette industrie du canned hunting. Les acteurs de cette industrie préfèrent parler de « chasse en enclos », pour indiquer que le lion a été élevé en captivité pour la chasse. Mais la vérité c’est que ces lions n’ont pas l’ombre d’une chance d’échapper au chasseur. Ce n’est pas une chasse équitable. C’est pour ça qu’on l’appelle canned hunting, la chasse en boîte : non pas parce qu’elle se déroule dans un mouchoir de poche, mais parce que c’est dans la poche. C’est du tout cuit, garanti sur facture : vous vous acquittez d’une certaine somme et vous êtes sûr de rentrer chez vous avec un lion.

Durant les trois ans qu’a duré le tournage, vous n’avez jamais eu peur, jamais douté ?

J’ai le goût de l’aventure et j’aime bousculer un peu les règles. Ce projet en témoigne, au point que pas mal de gens se sont demandés si on n’allait pas un peu trop loin. Ils s’en sont d’ailleurs ouverts à Gilles, aux familles : « Comment pouvez-vous mettre les gamins dans cette position ? » Ils ne comprenaient pas ce qu’on faisait. La seule façon de vraiment le comprendre eût été de venir en Afrique, de le voir et d’être impliqué sur ce tournage. Il y a tellement d’émotions, de personnalités et de gens interconnectés, qui deviennent comme une grande famille… D’ailleurs, si c’était à refaire, sachant tout ce que je sais aujourd’hui, je crois que je ne le referais pas !

La bande annonce du film

La question de la sécurité a dû vous donner des cauchemars…

Voilà presque vingt ans que je travaille avec des lions pour les besoins du cinéma et j’ai connu des productions où c’est le chaos. À partir du moment où des animaux sauvages sont sur le plateau ou à proximité, je fais personnellement un briefing de sécurité quotidien et je dis aux gens où ils peuvent aller, ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils doivent faire en cas de problème. L’idée, c’est de prévenir tout incident. De faire en sorte que les gens soient bien conscients que ce n’est pas parce que sept jours d’affilée se sont déroulés sans incident qu’il faut baisser la garde et se balader près des lions comme si c’étaient des chiens de salon. Il faut toujours garder dans un coin de sa tête qu’il s’agit là d’animaux sauvages et les respecter comme tels.

Quelle a été votre plus grosse surprise durant ce tournage ?

Il y en a eu beaucoup, à commencer par le lion Thor. Je blague souvent avec Gilles en disant que c’est la réincarnation du « vrai » Thor, le dieu nordique. Il porte vraiment bien son nom, en tout cas. Mais ex-æquo avec lui, et peut-être même devant lui, il y a les enfants, Daniah et Ryan. Contre vents et marées, ces deux mômes sont restés debout. Ils ont écouté. Ils ont compris et fait ce que je leur disais de faire. Ils ont persévéré. Ils ont encaissé les coups. Ils ont été mordus. Ils ont été griffés. Ils se sont relevés en disant « Je continue ». C’est admirable. Je connais tellement de gens qui auraient jeté l’éponge quand le chemin est devenu difficile. Eux, ils ont dit « Kevin, je veux continuer ». Les parents eux aussi ont assuré. C’était une sacrée leçon d’humilité que d’entendre deux couples de parents me dire « On vous confie notre enfant ». Je ne sais pas si j’aurais pu le faire, moi, confier mes enfants à quelqu’un d’autre.

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