« Les saisons », éloge de la nature et voyage à travers le temps et l’Histoire

Image extraite du film Les Saisons.
© 2011 Pathé Distribution

Les deux réalisateurs du documentaire Les Saisons, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, nous content un discours d’amour sur la biodiversité de la forêt. Des paroles à l’échelle humaine pour décrire un lieu qui renferme des millions d’existences.

JACQUES PERRIN

Ici, sous nos pieds, à Paris comme à Londres ou Berlin, d’immenses forêts s’étendaient jusqu’à l’horizon. Les sous-bois résonnaient du martèlement des sabots des bisons, des aurochs, des chevaux et des cerfs, de leurs brames, mugissements et beuglements. Sur l’Europe tout entière s’est répandu un âge d’or de la forêt, une période durant laquelle les arbres pouvaient mourir de vieillesse, pouvaient mourir debout.

Ces arbres qui, au cours des milliers d’années, se sont transformés en une terre riche et fertile, ces forêts d’antan qui font l’abondance de nos récoltes d’aujourd’hui. Sans forêt, pas de sol ni d’eau douce, pas de vie. Nous avons grandi depuis dix mille ans avec la forêt. Elle nous a nourris, chauffés, protégés. Plus encore, elle a nourri nos rêves, nos contes et nos légendes. Elle est le terrain des jeux de notre enfance. C’est le dernier espace de liberté de nos contrées urbanisées. L’homme a besoin des arbres. Pourtant, aujourd’hui, ce sont les arbres qui ont besoin des hommes. Nous vivons une époque chaotique mais passionnante : le temps d’une vie humaine, la civilisation paysanne a disparu ; l’agriculture est devenue une industrie et les campagnes se sont presque vidées de leurs paysans, de leurs fleurs, de leurs papillons et de leurs hirondelles.

« Le temps d’une vie humaine, la civilisation paysanne a disparu. »

On se félicite de l’expansion continue de la forêt française et européenne, qui a doublé ses surfaces depuis Napoléon et, dans le même temps, nous saignons à blanc les forêts tropicales et équatoriales. Nous envisageons la forêt comme l’un de nos meilleurs atouts pour lutter contre le réchauffement climatique mais nous constatons que la majorité des arbres de la planète, s’ils ne sont pas abattus, souffrent désormais d’embolie : le climat devient trop chaud et surtout trop sec. Ces géants fragiles ne seront bientôt plus en mesure de lutter, de contrecarrer la crise climatique. Sachons accepter ces espaces sauvages qui échappent à nos règles, à nos calculs et qui ne répondent ni à nos exigences de rentabilité ni à nos critères esthétiques. L’homme n’a pas seulement besoin des produits de la forêt, il a besoin de l’imprévisibilité du monde vivant. Il a besoin de rêve, d’aventures, de surprises. Notre soif d’absolu est impossible à étancher.

Il lui faut un terrain d’aventure à la mesure de son immensité. En prélude à chacune de leurs palabres, les Iroquois avaient pour coutume de désigner celui qui, parmi eux, parlerait au nom du loup, l’une des figures emblématiques de leur civilisation. Qui, aujourd’hui, parlera au nom des arbres et des papillons, des crapauds et des loups, des éléphants et des baleines, au nom de tous ces encombrants et ces insignifiants ? Le biologiste canadien David Suzuki, grand spécialiste de la forêt, écrit que « pour comprendre l’arbre, il faut comprendre la forêt ». Et il termine en appelant de ses vœux une nouvelle déclaration universelle : non plus une déclaration d’indépendance comme il y en a tant, mais la déclaration d’interdépendance de tous les vivants.

Image extraite du film Les Saisons.
© 2011 Pathé Distribution

JACQUES CLUZAUD

Quand on chemine aux côtés de Jacques Perrin, qui dit nouveau film dit nouveaux défis. Voler avec les oiseaux au-dessus de la Terre ou bien nager avec les créatures marines à travers les océans représentait certes une gageure, mais nous entraînait nécessairement vers le spectaculaire. Aujourd’hui, comment renouveler le regard sur des animaux aussi familiers et aussi souvent filmés que ceux de nos forêts, du hérisson au renard en passant par la biche ou le sanglier ? Comment redécouvrir ceux qui sont à notre porte ? Comment voir en ces animaux des personnages aussi extraordinaires que les voyageurs du ciel et des océans ? 

Mais le plus grand défi n’est pas là. Il nous faut non seulement nous approcher de ce peuple des forêts, au plus près de son intimité et de ses courses folles, mais entreprendre avec lui un voyage à travers le temps et l’Histoire. Parcourir avec les animaux sauvages les quelque 12 000 ans qui nous séparent de la fin de la dernière ère glaciaire. Revisiter l’Histoire du point de vue animal et faire un film qui décale le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur notre propre histoire, voilà l’enjeu de cette nouvelle aventure des Saisons. Le film commence alors qu’un réchauffement brutal modifie la physionomie du continent européen. Le monde du froid laisse place à une immense forêt qui recouvre l’Europe.

Ce vaste territoire verdoyant devient pour les espèces animales ainsi que pour une poignée d’hommes, des chasseurs-cueilleurs, celui d’un véritable “âge d’or”, des milliers d’années de coexistence pacifique entre ceux qui vénèrent les arbres et la nature sauvage. Puis vient le temps où les arbres commencent à tomber sous les coups des haches de pierre… et l’Histoire se met en marche. Et si nous portions un regard nouveau sur la relation complexe et tumultueuse que nous entretenons avec la nature ? Au plus près de la faune sauvage, pouvons nous faire ressentir le joug que l’espèce humaine fait peser sur elle ? Ce ne sont pas les mots qui nous disent ce qu’il convient de penser de ces millénaires de cohabitation, mais l’émotion qui, dans un film de nature, doit savoir se passer de paroles. S’approcher d’un animal n’a pas pour simple but de l’observer (encore moins d’en apprendre plus sur lui) mais de saisir une attitude, un regard qui, dans les situations les plus diverses, sauront faire naître en nous une émotion créatrice non seulement de compassion mais surtout d’empathie avec la faune sauvage.

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