« Les Saisons », comment raconter les 20 000 ans d’histoire de l’Europe sauvage ?

Image extraite du film Les Saisons.
© 2011 Pathé Distribution

Les réalisateurs et producteurs du documentaire Les Saisons nous racontent la genèse du scénario du film. Ils nous parlent également de la technique utilisée pour les prises d’images au cœur de la nature sauvage : l’imprégnation.

Chercheurs d’or en quête d’images fabuleuses

Les mammouths sont entrés dans Paris, les baleines, les phoques et les dauphins remontent la Seine, les aurochs font résonner leurs mugissements dans les forêts profondes de Bourgogne, les esturgeons encombrent le Rhône, les bouquetins dansent dans les calanques aux portes de Marseille, les pluies d’éphémères enchantent les chaudes soirées d’été… Des histoires comme celles-ci, nous en avons rempli toute une malle en nous promenant dans les livres et les laboratoires, en rencontrant de nombreux chercheurs, en multipliant les points de vue. Nous sommes des chercheurs d’or en quête d’images fabuleuses. 

Pour raconter 20 000 ans d’histoire des animaux sauvages d’Europe, nous avons pris le temps de musarder dans le vaste univers des sciences, le temps de réfléchir, de rêver, de nous tromper. Est-il possible de faire un film de cinéma sur un sujet que l’on ne maîtrise jamais complètement ? Il faut probablement une bonne dose d’inconscience pour se lancer dans pareille aventure. Chaque film est un pari avec l’enthousiasme pour seul guide. Le film Les Saisons est doublement risqué puisque, à la dimension spatiale, nous avons ajouté la dimension temporelle. Il faut oser se perdre pour trouver. Notre scénario est resté ouvert le plus longtemps possible à l’imprévu, au doute, à la surprise. Liberté maximale de l’écriture. Sur le papier, tout est possible. Cette liberté, nous l’avons conservée jusqu’au montage, ce qui rend d’autant plus délicat le travail de tous ceux qui organisent le plan de travail, préparent le budget, repèrent les décors, travaillent avec les animaux : des scènes entières peuvent disparaître du jour au lendemain, réduisant à néant leurs efforts…

Nous avons surtout passé beaucoup de temps sur le terrain, auprès des animaux sauvages, pour tenter de capter l’instant magique. La nature est un plateau de cinéma où l’on ne maîtrise pas l’éclairage. Il faut attendre, s’armer de patience et se fondre dans le milieu. Ne pas savoir où l’on va est le seul moyen de conserver intactes la curiosité qui nous anime depuis le début, l’envie d’aller y voir d’un peu plus près. Il s’agit de comprendre des êtres parfois très proches qui, eux aussi, s’expriment, ressentent, vibrent de désirs et de peur, partagent notre territoire et notre histoire. Il se passe quelque chose autour de nous qui vaut la peine qu’on s’en soucie un peu, qu’on s’y attarde, et dont l’expérience est toujours enrichissante. Pour transmettre cette émotion, il nous faut abandonner la position de l’observateur lointain et surplombant pour participer au mouvement même de la vie et plonger au cœur de l’action, parmi les animaux, parmi les “observés”, et vivre comme eux le monde qui les environne.

L’imprégnation

L’imprégnation est une technique qui permet d’atteindre la proximité nécessaire pour transmettre les émotions que nous souhaitons. Elle permet de retrouver une familiarité perdue car, après des siècles de chasse intensive, les animaux sauvages ont acquis le réflexe de fuir l’homme bien plus loin qu’ils ne fuient leurs prédateurs naturels. Il faut bien comprendre que ce comportement de survie n’est pas “normal”, il est même aberrant au regard des millénaires passés durant lesquels animaux sauvages et hommes vivaient dans une grande proximité. Quelque chose que l’on retrouve aujourd’hui uniquement sous l’eau ou dans les contrées les plus reculées, les régions polaires ou les grands parcs nationaux où nous avons pu réaliser les séquences des films Océans et Le Peuple migrateur. L’imprégnation permet à l’animal de vivre sa vie sans crainte, de vaquer sans contrainte à ses occupations en ignorant l’équipe des cinéastes tout proches, à charge pour eux d’en mettre en images les plus beaux moments. Le jeune animal naît avec la peur au ventre mais aussi avec un besoin vital de contact et de chaleur corporelle. 

L’enjeu, pour l’imprégnateur, est de désamorcer au plus vite cette crainte atavique en prenant l’animal en charge aussitôt après sa naissance. L’imprégnateur joue ainsi le rôle d’une mère de substitution. Il associe sa présence aux moments de plaisir comme la tétée, le sommeil ou le jeu. À l’inverse du dressage, l’imprégnation instaure une relation de confiance quasi fusionnelle. Les imprégnateurs le disent régulièrement : “Il faut de l’amour maternel à revendre pour exercer ce métier” qui exige de nombreuses compétences. Et une disponibilité totale : les animaux ne connaissent ni les vacances ni les week-ends…

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