« Les malheurs de Sophie » adapté au cinéma par Christophe Honoré

Image extraite du film Les Malheurs de Sophie.
© 2016 Jean-Louis Fernandez / LFP- Les Films Pelléas - Gaumont - France 3


À travers Les malheurs de Sophie, l’auteur et réalisateur Christophe Honoré parvient à lier son désir de cinéma et de la littérature jeunesse. Il nous raconte ici son processus de création. 

Quand avez-vous découvert l’œuvre de la Comtesse de Ségur ?

À la fin de l’école primaire. Je passais mes vacances d’été dans un camping en Bretagne et je m’y ennuyais beaucoup. Heureusement, il y avait une petite bibliothèque dans laquelle j’ai découvert tous les livres de la Comtesse de Ségur. Ce fut pour moi une rencontre avec un auteur : pour la première fois, après avoir aimé un livre, j’avais l’envie de poursuivre avec un autre titre du même auteur.

Aujourd’hui, vous réalisez votre premier film pour les enfants et c’est justement une adaptation de la Comtesse de Ségur. Comment est née cette envie ?

Marier le cinéma et la littérature jeunesse correspond à un désir ancien. J’ai écrit de nombreux romans et albums pour enfants. C’est une part moins connue de mon travail, mais à laquelle j’accorde beaucoup de valeur. Pour tout écrivain pour enfants, la Comtesse de Ségur est un idéal de précision et d’élégance. Il m’a semblé qu’en réunissant dans un même film Les Malheurs de Sophie et Les Petites Filles modèles, je pouvais construire un modèle de récit brisé que j’affectionne. L’idylle et la disgrâce. Et surtout, je pouvais compter sur un héros enfant. J’étais très curieux de pouvoir filmer pendant des semaines une petite fille de cinq ans.

Sophie fait partie de ces personnages que l’on a l’impression de connaître mais qu’en réalité on a parfois un peu oublié… Quel genre d’héroïne est-elle ?

Sophie est un personnage plus complexe qu’on imagine. Elle n’est pas que l’enfant roi, capricieuse, qui plierait le monde à ses désirs. Je la vois comme une exploratrice du quotidien. Sophie est avant tout courageuse, elle fait tout ce que les enfants rêvent de faire sans jamais le faire ! Son absolue liberté en fait une héroïne de la transgression. Alors oui, Sophie détruit toujours ce qu’elle aime : sa poupée, les animaux qu’elle capture… Mais cette destruction s’accorde toujours avec un sentiment plus mélancolique, c’est comme si elle cherchait sans cesse les preuves qu’elle est bien seule au monde. Voilà, Sophie est une exploratrice échouée, qui prend peu à peu conscience que le monde est désert autour d’elle.

Au fil du film, le spectateur découvre les aventures les plus connues de Sophie : les poissons rouges, l’eau du thé… Et surtout son acharnement sur sa poupée. Quel est le symbole de ce jouet ?

Cette poupée est un cadeau de son père. Elle représente certainement la manière dont ce père rêverait que sa fille soit : une poupée bien coiffée, muette, et qu’on oublie sur une chaise… Mais Sophie ne veut pas être ce genre de poupée. La poupée perd d’abord ses yeux, puis ses cheveux, ses pieds, et finit par avoir des funérailles surprenantes. On peut l’envisager comme une métaphore de l’enfance, la perte de l’innocence. Mais j’ai tenu à ce qu’elle soit aussi dans la deuxième partie, le signe de la renaissance. Après avoir accepté de l’abandonner, Sophie choisit de la ramener à la vie… Contre l’image convenue que le père porte sur les filles, contre le destin convenu qu’il lui promet, Sophie lutte. Elle donne à sa poupée, et à elle-même la possibilité de vivre une vie héroïque.

Image extraite du film Les Malheurs de Sophie
© 2016 Jean-Louis Fernandez / LFP- Les Films Pelléas – Gaumont – France 3

Les hommes sont absents. Sophie grandit dans un univers très féminin…

Je ne voulais pas inventer de figure paternelle car il n’y en a pas dans la Comtesse de Ségur. J’ai choisi de ne pas filmer le père : on le voit une fois de dos et une fois ses pieds. Les hommes n’étaient pas concernés par le monde de l’enfance. C’est une réalité historique que j’ai voulu montrer. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai choisi d’inscrire cette histoire dans l’époque napoléonienne (et non au milieu du XIXème). Cela correspond à l’époque de la propre enfance de la Comtesse de Ségur.

Comment votre choix s’est-il arrêté sur la jeune interprète de Sophie ?

Je tenais à travailler avec des enfants de maternelle, des enfants qui n’avaient pas encore vécu l’école primaire, l’âge de raison. Au total, je crois qu’on a rencontré plus de 800 petites filles. C’était une entreprise de casting passionnante, pilotée par Elsa Pharaon et Sébastien Lévy. Avec leurs équipes, ils ont trainé dans tous les parcs de la ville, tous les marchés, dans l’espoir de trouver les enfants que j’imaginais. Pour Sophie, je souhaitais que cette jeune interprète soit pour la première fois à l’écran, qu’elle n’ait surtout pas l’intelligence de la caméra. Je cherchais une spontanéité et une énergie.

Le film repose sur les enfants et parmi eux, trois étaient vraiment petits. Comment avez-vous travaillé ?

Il fallait surtout trouver une méthode pour travailler avec des enfants qui ne savaient pas lire. Comment leur faire apprendre le texte ? Avant le tournage, pendant quatre mois, nous avons appris des scènes dans le désordre comme on aurait appris les paroles d’une chanson, sans rentrer dans le jeu. Plus tard, juste avant les prises, les enfants reprenaient la scène qu’on allait filmer et les phrases apprises quelques mois auparavant revenaient alors de manière mécanique. Il fallait se débarrasser du côté chanté, faire quelques petits réglages pour jouer les situations avec les accessoires et les déplacements. Je les poussais aussi à inventer des phrases. Pour moi, il était très important que la mise en scène s’adapte à l’âge de mes comédiens et non l’inverse. Quand les petites filles arrivaient sur le plateau, je ne voulais plus entendre parler d’aucun souci technique. Je ne cessais de parler aux enfants pour avoir un maximum de spontanéité (Attention, tu rentres dans la pièce, tu lui montres la poupée, tu prends le coussin, tu lances le coussin, etc…) et éviter à tout prix qu’ils se mettent à exécuter des gestes qui ne leur auraient pas appartenu.

Pourquoi avez-vous pensé à Muriel Robin pour interpréter Madame Fichini ?

Elle me fait beaucoup rire dans son travail de one-man-show. Le cinéma l’a souvent mal employée en lui confiant des rôles à contre emploi de femme malheureuse. Je voulais qu’elle joue cette femme terrifiante. Il n’était pas question de gommer cet aspect. Mais il fallait aussi qu’elle soit absolument ridicule. L’humour est essentiel pour mettre en scène la méchanceté de ce personnage. J’avais besoin d’une actrice qui avait une parfaite maîtrise de la comédie et Muriel Robin est une actrice comique insensée, avec un jeu à la fois précis et romanesque. Elle est à la fois inattendue et absolument intégrée à ce film. J’espère que les cinéastes français vont se réveiller et lui proposer les grands rôles qu’elle mérite.

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