« Un monstre à Paris », sorti en 2011 son réalisateur pensait au projet depuis 1997 !

Image extraite du film Un monstre à Paris.
© EuropaCorp - Bibo Films - France 3 Cinema - Walking The Dog

Bibo Bergeron, le réalisateur d’Un monstre à Paris, se confie à travers cette interview sur la naissance du scénario.

Quand et comment est née l’aventure « Un monstre à Paris » ?

Le début de cette aventure remonte à pas mal d’années, avant même Gang de requins. J’étais installé aux Etats-Unis depuis 1997 et ce projet est né d’une certaine nostalgie de Paris. J’avais envie de faire un film sur ma ville, un film romantique qui pourrait par moment aller tutoyer le cinéma d’épouvante. Tout simplement parce que, comme spectateur, sans être un inconditionnel des films d’horreur, j’ai toujours aimé le côté romantique des films d’épouvante. J’avais aussi envie de traiter du début du 20ème siècle, une période historique en incroyable ébullition qui a connu une multitude des révolutions scientifiques et technologiques – l’automobile, le train…- et qui me passionne depuis toujours. C’est ainsi qu’est née dans ma tête l’idée du personnage de Raoul avec son envie permanente de progrès. Enfin, dès le départ, j’ai aussi envisagé ce film comme très musical. En fait, si je dois résumer, j’ai voulu mettre dans ce film tout ce que j’aime.

Comment avez-vous organisé ces différentes thématiques pour construire la base de votre projet ?

Dans mon esprit, l’histoire de base a tout de suite été centrée autour du personnage du monstre. Et le premier questionnement important fut donc autour de l’apparence du monstre. J’avais pensé au départ à un vampire mais ce n’était pas vraiment ragoutant pour les enfants. J’ai donc laisse de côté l’aspect sanglant et c’est en 2001 que j’ai eu l’idée d’une puce qui devient géante à la suite d’une expérience. A partir de là, on a commencé à bâtir le scénario avec Stéphane Kazandjian en s’appuyant aussi sur une énorme documentation que j’avais réuni sur l’époque : les Brigades du Tigre, les débuts de la police… Et on s’est bien évidemment retrouvé avec une première version trop riche en personnages et en situations. La deuxième partie de notre travail a alors consisté à tenter de prendre le meilleur pour le développer et faire tenir le récit en une heure et demie.

Pourquoi avoir fait appel à Stéphane Kazandjian pour co-écrire le scénario ?

J’avais écrit en août 2005 tout seul de mon côté un premier synopsis et une première mouture de scénario. Mais pour avancer, j’ai ressenti le besoin et l’envie de rencontrer différentes personnes. C’est là que j’ai fait la connaissance de Stéphane. Et on a tout de suite accroché. C’est un peu le Yang de mon Ying. Il sait par exemple parfaitement me canaliser car j’ai toujours tendance à avoir trop d’idées. On a donc parfaitement travaillé main dans la main tous les deux à partir de l’automne 2005. Et on a fini l’été 2006 la première mouture vraiment exploitable.

C’est à ce moment là aussi que s’écrivent les chansons qui forment une sorte de colonne vertébrale du film ?

Les chansons ont en fait été ma toute première priorité sur ce film. Je ne voulais pas les greffer au scénario terminé mais qu’elles fassent bel et bien partie intégrante de l’intrigue. Ce n’est donc pas un hasard si la toute première personne à qui j’ai demandé de collaborer sur ce projet a été Matthieu Chédid. Et ce avant même que la première mouture du scénario soit terminée. J’ai appelé son agent pour lui demander de le rencontrer. On a déjeuné ensemble en octobre 2005. Je lui ai expliqué mes intentions pour le film et il a tout de suite accroché. Deux semaines plus tard, il m’invitait déjà chez lui pour me faire entendre la première chanson qu’il avait déjà composée : le moment où Francoeur rencontre Lucille et chante son état d’âme de mal aimé. Cette chanson me semblait importante car elle permettait de préciser d’emblée l’identité du monstre : pas un méchant mais un ange enfermé dans un corps de monstre. Et la composition de Matthieu était impeccable : on peut d’ailleurs entendre cette maquette telle quelle dans le générique de fin du film. Cet homme est vraiment incroyable !

Pourquoi avoir été spontanément vers lui ?

De 1997 à 2005, j’ai donc vécu aux Etats-Unis. J’étais parti avec dans ma valise mes CD préférés mais j’achetais aussi régulièrement par correspondance des disques d’artistes français pour me tenir au courant. Et parmi ceux-ci, j’avais commandé les premiers albums de Matthieu. Et la vision des photos du livret de Je dis aime a vraiment été un déclic pour moi, au moment où j’écrivais les premières lignes du synopsis. La phrase « Francoeur est un ange coincé dans un corps de monstre » se mariait parfaitement avec ce personnage de –M- que s’était créé Matthieu : des cheveux en forme de corne de diable, son costume rose et son visage et sa voix angélique. Je ne pouvais rêver meilleur contrepied : quand on pense à une voix de monstre, Matthieu n’est pas le premier nom qui vous vient à l’esprit.

Comment s’est ensuite déroulée la collaboration avec lui sur l’ensemble de la B.O. ?

On se parlait beaucoup. Matthieu avait l’appétit de connaître en détails ce que j’avais dans la tête. Il s’en inspirait pour écrire des paroles et me les soumettait. Mais il a vraiment tout de suite compris où je voulais aller avec ce film : le romantisme qui l’entourait, la tendresse des personnages… Je le dis et je le répète : notre rencontre a été un déclic décisif dans la conception d’Un monstre à Paris. Et le travail qui en a suivi a été incroyablement fluide.

Image extraite du film Un monstre à Paris.
© EuropaCorp – Bibo Films – France 3 Cinema – Walking The Dog

A quel moment Vanessa Paradis arrive-t-elle sur le projet pour incarner la voix de Lucille ?

Après Matthieu, c’est la deuxième qui a débarqué sur ce projet. Et c’est d’ailleurs parce que j’ai eu leur accord assez tôt que j’ai pu écrire les personnages de Francoeur et Lucille en m’inspirant de leurs très fortes personnalités. Et je pense que le résultat final s’en ressent à l’écran. C’est Matthieu qui m’a permis de rentrer en contact avec Vanessa. Dès notre première rencontre, il m’avait demandé qui j’imaginais pour prêter sa voix à Lucille. Je lui ai alors expliqué que je recherchais quelqu’un qui chantait aussi bien qu’elle jouait la comédie et que je n’avais donc qu’un nom en tête : Vanessa Paradis. Car à mes yeux, elle possédait tout ce que je voulais pour Lucille : cet aspect piquant, ce côté jeune femme qui n’a pas sa langue dans sa poche et ce magnétisme incroyable qui fait que même si elle vous engueule, vous l’aimez pour ça ! Il se trouve que le lendemain de notre rencontre, Matthieu voyait Vanessa pour l’enregistrement du Soldat rose. Il m’a donc invité à venir et je l’ai rencontrée à cette occasion-là. Elle aussi m’a donné son accord assez vite et elle a donc enregistré les chansons d’Un monstre à Paris avant que Matthieu et elle ne fassent leur premier album ensemble. Dans la vie, Matthieu et Vanessa ont une relation vraiment très fraternelle comme Francoeur et Lucille, centrée autour de leur amour pour la musique. Que pouvais-je rêver de mieux pour mon film ?

Si leurs chansons ont donc été enregistrées avant le travail sur l’animation, qu’en a-t-il été des autres voix du film ?

EuropaCorp a souhaité qu’avant de me lancer dans l’animation proprement dite, j’enregistre les voix de la version anglaise du film afin que celui- ci soit plus facilement vendable sur les territoires anglo-saxons. Ce n’était pas vraiment une nouveauté ou un défi pour moi car j’ai en fait toujours travaillé de cette façon pour mes deux premiers films. J’ai donc fait mon casting américain et je suis parti les enregistrer à Los Angeles. Mais l’enregistrement des voix françaises a eu lieu, lui, après la phase d’animation. Pour celle-ci, j’avais très en amont en tête ma liste idéale d’acteurs à qui j’en ai donc parlé très tôt. Et j’ai eu cette énorme chance que tous me répondent positivement et ont pu être libres quand j’ai eu besoin d’eux : Gad Elmaleh, François Cluzet, Julie Ferrier que j’avais rencontrée dans un festival, Ludivine Sagnier qui avait déjà fait une voix sur Gang de requins, Philippe Peythieu, la voix d’Homer Simpson, Sébastien Desjours celle de Bob l’éponge…

Est-ce un film qui a été long et difficile à financer ?

Faire un film d’animation prend toujours du temps. Trois ans et demi pour La route d’Eldorado. Quatre ans et demi pour Gang de requins. Là, ce fut à peu près la même chose, à ce « petit » détail près que j’ai dû faire un break de 9 mois car on n’arrivait pas à trouver l’argent pour parvenir à faire le film qu’on avait en tête. Il est très difficile de convaincre de financer un film avec un budget aussi important et avec cette ambition-là, en France. Et à un moment, je me suis retrouvé incapable de payer les gens…

Quelles sont les œuvres qui vous ont inspiré visuellement pour créer l’atmosphère d’ »Un monstre à Paris » ? On pense à Tardi notamment…

Je suis un grand fan de Tardi mais ça n’a pas vraiment été une référence pour Un monstre à Paris, même si nous sommes passionnés par la même époque de l’histoire. En fait, c’est Franquin, mon maître à dessiner, qui m’a énormément inspiré, en particulier pour l’écriture et le dessin des personnages. J’avais aussi en tête les oeuvres des impressionnistes de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle comme Alfred Sisley pour leur capacité à mettre du brillant dans du brouillard et à jouer avec les couleurs et les lumières. Enfin, en ce qui concerne le récit en lui-même, j’ai été influencé par des films a priori éloignés de mon sujet comme Le corniaud, Le fanfaron ou Coup de tête dont j’aime les personnages si plein de défauts mais tellement attendrissants. Mon but était de tendre vers cette écriture léchée, dans laquelle je baigne depuis toujours comme spectateur.

Qu’est ce que la 3D a changé dans sa fabrication ?

C’est plus long et plus cher ! (rires) Concrètement, cela nécessite trois mois de fabrication en plus. L’idée de la 3D est arrivée en milieu de production. Ce qui nous a permis de nous y préparer. J’ai voulu un relief qui ne cherche jamais à être spectaculaire mais respecte en l’approfondissant l’atmosphère que je voulais créer depuis le départ. Je voulais éviter l’aspect poudre aux yeux et tape à l’oeil. La 3D ne devait pas distraire le spectateur de l’essentiel : les personnages, l’intrigue, les décors… Et, au final, cette 3D est très « théâtrale », chaleureuse, douce, cohérente avec le film que j’avais en tête. D’ailleurs, même les blagues restent humaines dans ce film et c’est ce qui, à mes yeux, les rend drôles. Dans la même logique, je n’ai pas voulu parsemer Un monstre à Paris de références. Il n’y en a en fait qu’une : un clin d’oeil au Corniaud – qui traduit mon amour des films de Bourvil – dans cette scène où un policier à la voix de Bourvil se fait voler son vélo. Mais, au final, le maître mot du film est, dans son écriture comme dans sa réalisation : humanité.

Qu’est ce qui vous a finalement semblé le plus complexe dans toute cette aventure ?

Pour ce qui est du financement, le plus compliqué a été d’expliquer quel film je voulais faire à des gens qui n’étaient pas des artistes. Sans image, ils ne comprenaient pas où je voulais aller. Est-ce que cela allait ressembler à du Pixar ? A du Dreamworks ? Je leur expliquais que ça n’allait être ni l’un, ni l’autre, qu’il y aurait une ambiance un peu peinte dans les décors, que les personnages allaient être un peu plus caricaturés que dans les films américains, que l’ensemble allait avoir un côté impressionniste mais pas trop… Et j’ai finalement réussi à me faire comprendre. D’un point de vue artistique, le plus complexe a été sans aucun doute le design du monstre. Autant dessiner une jolie chanteuse qui ressemble à Vanessa Paradis n’avait rien de très compliqué puisque je pouvais m’appuyer sur des références humaines comme pour la plupart des personnages d’ailleurs, autant on en a bavé pour créer une puce géante habillée en Aristide Bruant qui est censée être aussi charmante que Matthieu Chédid !

Comment y êtes-vous finalement parvenu ?

J’ai demandé à plusieurs amis – illustrateurs, auteurs de BD, storyboarders… – de dessiner Francoeur à partir de la description que je leur avais faite du personnage. Et soudain j’ai eu un déclic. Si l’on regarde attentivement, le visage de Francoeur a la forme d’un cœur. Et je me suis dit qu’il n’y avait pas de hasard : il est très symbolique que ce visage en forme de cœur nous regarde avec ses grands yeux lumineux. Un autre dessinateur m’a donné l’idée de l’aspect d’une sauterelle. Et j’ai eu pour ma part celle de l’habiller en Aristide Bruant. Francoeur est donc né de la rencontre de ces différentes inspirations.

« Un monstre à Paris » est votre le film le plus ambitieux en terme de budget, de récit et de mise en scène. Vous l’avez produit avec votre propre studio. Eprouvez-vous une angoisse particulière avant sa sortie ?

J’ai fait ce film le plus honnêtement possible. Et, maintenant, c’est au public d’accrocher ou pas, d’être charmé ou pas. Je n’y suis plus pour grand-chose. Je peux juste dire que j’ai réalisé le film dont j’avais envie et qu’il est à ce jour mon film le plus personnel. Entendons-nous bien : j’avais mis tout mon coeur et toutes mes compétences dans Gang de requins et Sur la route d’Eldorado. Mais il s’agissait de deux films de studio. Or, pour moi, Un monstre à Paris est avant tout un film d’auteur. Et si on le considère aussi comme grand public, je serai plus qu’heureux d’avoir fait un film d’auteur grand public !

Est-il au final très proche de la première idée que vous aviez de cette histoire ?

Il a bien grandi depuis ! C’est comme toute idée : on met une graine et puis ça pousse et ça donne des fruits. L’histoire a vraiment beaucoup évolué : dans la toute première version, on retrouvait par exemple les Brigades du Tigre qui ont disparu. Lucille n’était pas chanteuse mais photographe pour la police…. Elle l’est devenue pour que le monstre chanteur puisse être attiré par quelqu’un qui chante aussi. Donc Un monstre à Paris est très différent dans les détails qui le composent mais fidèle à ce qui m’a donné envie de le réaliser.

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