Des danseurs professionnels pour le film d’animation « Ballerina »

Image extraite du film Ballerina.
© 2016 MITICO – GAUMONT – M6 FILMS – PCF BALLERINA LE FILM INC

Les chorégraphes Aurélie Dupont et Jérémie Bélingard se livrent sur leurs parcours de danseur professionnel et nous racontent leur collaboration avec l’équipe du film Ballerina

Quelle a été la nature de votre collaboration à la fabrication du film ?

Aurélie Dupont : Laurent Zeitoun m’a contactée pour discuter du projet et de mes années passées à l’école de danse. Il m’a proposé d’élaborer la chorégraphie des personnages avec Jérémie Bélingard, afin que l’équipe puisse ensuite calquer l’animation sur mes gestes. Le sujet de BALLERINA me touchait, l’expérience était inédite, ludique et j’ai pensé au plaisir que mes deux enfants auraient à voir un film comme celui-là. Jérémie et moi avons choisi des rythmiques et imaginé la chorégraphie jusqu’au plus petit détail, comme l’assiette que Félicie fait valser dans la cuisine de l’orphelinat ou le coup de balai qu’elle passe sur la scène en faisant une pirouette ! J’ai dansé toutes les scènes, tous les personnages. Félicie ou Camille ont le même âge mais ne s’expriment pas de la même façon : la première est instinctive, passionnée ; la seconde est technique, froide, parfois sans respiration.

Jérémie Bélingard : Lorsque j’ai vu toute l’équipe au travail et compris que le film s’adressait au grand public et pourrait aussi toucher les petits garçons, à travers des références communes comme KARATÉ KID, j’ai voulu faire partie de cette aventure. On s’est interrogé avec Aurélie sur la manière de procéder et l’idée de me servir d’une caméra pour filmer les chorégraphies a été le déclic : en m’inspirant des scènes écrites par Laurent et Carol, j’ai imaginé les danses, Aurélie les a apprises, nous avons répété puis je l’ai filmée dans l’un des studios de l’Opéra. Je pensais aux angles de prises de vue, au découpage, au montage… Nous avons ensuite visionné ces scènes avec Laurent qui apportait ses modifications avant de les confier aux dessinateurs et animateurs chargés de donner vie à ces moments du film. L’idée était d’être le plus didactique et le plus impressionnant possibles car la production n’était pas encore initiée aux subtilités de la danse. Je ne voulais rien imposer mais rendre compte d’une dynamique : j’ai pris un grand plaisir à ce processus de création à part entière.

Avez-vous dû batailler, à l’instar de Félicie, pour réaliser votre rêve de danser ?

Aurélie Dupont : Tous les jours ! J’ai su dès le départ que j’étais à ma place. Je ne l’ai pas intellectualisé, je l’ai ressenti aussi fortement que Félicie. Ma mère a accompagné cette envie de danser en demandant à un professionnel de m’évaluer. Personne ne songeait à l’Opéra de Paris, jusqu’à ce que, après mes premiers cours, la professeure m’encourage à me présenter au concours… qui s’ouvrait trois mois plus tard.

Jérémie Bélingard : Félicie est un petit miracle de la nature et a profité d’un coup de chance pour s’imposer. Cette étoile bienveillante, cette petite boîte à musique, tous ceux qui ont réussi dans la danse en ont une. Tout jeune puis ado, j’ai suivi le cursus classique de l’école sans avoir le sentiment de lutter, parce que j’étais vraiment fait pour ce métier. C’est en devenant professionnel qu’il a fallu me battre : j’étais le plus petit face à des gars de 1,85 m à la silhouette idéale !

Aurélie Dupont : C’est à l’école de danse, où l’on vous forme pour faire partie du corps de ballet, que j’ai le plus bataillé. Avec seulement trois mois de pratique antérieure, autant dire que j’y connaissais quasiment rien : j’avais quelques notions en tête – le pas de bourrée, le saut de chat… – mais je n’avais pas confronté mon corps à ces exercices. Les filles qui partageaient mon apprentissage avaient quatre ans de danse à leur actif : j’ai travaillé d’arrache-pied pour rattraper mon retard, le matin avec toutes les élèves et le week-end lors de cours particuliers.

Jérémie Bélingard : Avec mes camarades, on était autorisé à jouer un seul grand classique par an… comme remplaçant ! Les danseurs qui étaient là avant nous, comme Manuel Legris, étaient si exceptionnels que trouver sa place était une gageure. J’ai fait partie de cette génération de danseurs qui a pu s’en sortir grâce à des créateurs vivants comme Pina Bausch et Roland Petit : se faire remarquer par eux était le seul moyen de s’élever dans cette hiérarchie délirante de l’Opéra. Cette contrainte a nourri notre force de conviction et notre singularité. Être empêchés nous a sauvés !

Aurélie Dupont : Tout le monde se bat même si le terrain est différent. Ceux qui ne correspondent pas aux critères physiques « recommandés » doivent développer une forte personnalité qui leur permet de se distinguer ; à l’inverse, d’autres vont travailler pour développer leur charisme car, aussi doués soient-ils techniquement, ce que l’on dégage sur scène est fondamental.

Avez-vous vécu avec le même émerveillement que Félicie votre toute première découverte de l’Opéra de Paris ?

Jérémie Bélingard : Je me souviens de la troisième étape du concours que je devais passer pour entrer à l’école. C’était un stage de trois mois à l’Opéra. J’étais assis tout seul, près de l’entrée, en attendant mon cours et Noureev est arrivé. Je l’ai salué comme c’est la coutume lorsque l’on croise un danseur étoile. Il s’est arrêté, m’a regardé et m’a retourné le salut. J’avais 11 ans.

Aurélie Dupont : Lorsque l’objectif d’entrer à l’École de Danse a été fixé, ma mère a pris des places pour aller voir un spectacle à l’Opéra Garnier. J’ai été particulièrement déçue parce que je m’attendais à y voir des enfants. Personne ne m’avait expliqué le parcours du métier. J’ai le souvenir d’une mêlée de tutus blancs, de la beauté du bâtiment et de la représentation, mais c’est l’incompréhension qui dominait : je ne voyais pas le lien avec le concours que je devais passer puisqu’il n’y avait que des adultes sur scène ! Dans BALLERINA, Félicie accomplit son rêve. Dans la réalité, chacun se l’avoue à différents moments. Devenir danseuse étoile a été un cadeau magnifique. Mais c’est sur scène que j’ai ressenti un sentiment d’accomplissement : j’avais atteint ce que j’estimais être ma perfection, physiquement et artistiquement. Le timing dans ma vie de danseuse et de femme était parfait !

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