Le tournage du film « Les enfants de Timpelbach »

Image extraite du film Les Enfants de Timpelbach
© 2008 – CHAPTER 2 / LUXANIMATION / SCOPE PICTURES / ONYX FILMS / M6 FILMS

Découvrez les secrets de tournage du film Les enfants de Timpelbach.

AU COMMENCEMENT ÉTAIT… UN RÊVE D’ENFANT

Il était une fois – pas si lointaine que ça quand même ! – un petit gars de 9 ans du nom de Nicolas Bary qui découvrit un grand classique de la littérature enfantine : Les Enfants de Timpelbach. Trois ans plus tard, ce fils de musiciens, déjà sensible à l’importance du rythme, se replonge dans le livre et s’imagine partager les aventures de Manfred et Thomas. Désormais, Timpelbach ne le lâche plus… Nicolas a grandi. Fou de films de genre et d’animation, il sait qu’il veut travailler dans le cinéma. Il s’inscrit dans une école de réalisation, enchaîne les stages sur des tournages et signe deux courts métrages – dont Before (2004), inspiré… des Enfants de Timpelbach. Tourné pour 10.000 euros, ce petit film de 10 minutes campe l’univers du long métrage à venir : on y décèle déjà l’influence du cartoon, le tempo cadencé, la prépondérance des enfants, la poésie burlesque etc. Surtout, Before réunit des noms dont on réentendra parler : le directeur de la photo Axel Cosnefroy, l’équipe des dessinateurs, les sound designers ou encore la comédienne Armelle qui s’est fait connaître grâce à la série Caméra Café. L’occasion pour le tout jeune réalisateur de se forger une « famille » de cinéma qui saura lui rester fidèle…

LES DÉBUTS DE L’AVENTURE

Au fond de lui, Nicolas Bary sait bien que, tôt ou tard, il portera à l’écran le livre qui a marqué son enfance. Tout en cherchant à obtenir les droits d’adaptation, il rencontre un producteur, Dimitri Rassam, impressionné par ses courts métrages : les deux hommes ont des projets plein la tête et comprennent vite qu’ils ont envie de travailler ensemble. Mais avant de passer au long, Dimitri, qui vient de créer sa société, produit le troisième court métrage de Nicolas : Judas, avec Jean-Pierre Cassel. « Cela m’a permis de mieux comprendre comment l’accompagner et m’a confirmé dans l’intuition qu’il est capable de sublimer les moyens qu’on lui donne, » affirme le producteur. Nicolas et Dimitri s’engagent alors dans une aventure qui durera 4 ans ! La tâche est titanesque : il faut acquérir les droits auprès des héritiers de l’écrivain, trouver un scénariste qui comprenne l’univers de Nicolas, entreprendre des recherches de visuels et de graphismes, commencer le story-board, s’attaquer au montage financier … « On a avancé très naïvement, avec une grande liberté d’action, sans se demander si c’était ‘raisonnable’ d’avoir une vingtaine d’enfants, des effets spéciaux et des décors naturels pour un premier film !, » reprend Dimitri Rassam. « Mais c’était jouissif de développer un projet sans se fixer de contrainte. »

FRÈRES D’ÉCRITURE

Comme beaucoup de cinéastes qui portent leur projet depuis longtemps, Nicolas Bary s’est déjà attelé à une première adaptation des Enfants de Timpelbach lorsqu’il fait la connaissance de Dimitri Rassam. Mais cette version « zéro » du scénario, écrite il y a plusieurs années, n’est pas franchement satisfaisante – de l’aveu même de son auteur. Le producteur lui présente alors Nicolas Peufaillit qui vient tout juste de collaborer à l’écriture du nouveau film de Jacques Audiard, Le Prophète : « On s’est immédiatement marré comme deux ados, » signale le scénariste. Pendant quelques semaines, les deux hommes apprennent à se connaître : ils en profitent pour évoquer leurs références cinématographiques – de Tim Burton à Terry Gilliam et Jean-Pierre Jeunet – et envisager la modernisation des personnages. « Je ne crois pas aux adaptations littérales parce qu’un bon livre écrasera toujours un bon film, » poursuit Peufaillit. « Il fallait mettre davantage en valeur la bande des méchants et la féminiser un peu. On a essayé de leur trouver des fêlures. Dans la mesure du possible, on a cherché l’émotion et l’humour. » Il ajoute : « On a imaginé par exemple de nouveaux personnages comme Mireille ou les deux gardes à qui on a donné des prénoms improbables. »

La collaboration entre les deux Nicolas dure 18 mois au cours desquels le réalisateur et son coscénariste se voient tous les deux ou trois jours. L’ambiance est à la fois studieuse et festive : « On jouait nous-mêmes les personnages des enfants en prenant de petites voix, » note encore Peufaillit. « On a aussi essayé de travailler les sonorités, notamment pour le phrasé d’Armelle. Mais on n’a jamais cherché les mots d’auteur. Il fallait lutter contre les dialogues désuets et surécrits. C’était d’autant plus difficile que l’époque est indéterminée. »

HAUTE COUTURE

Entouré de ses plus fidèles collaborateurs, Nicolas Bary s’apprête désormais à donner vie aux personnages et à l’atmosphère du film encore en gestation. Tout commence par le travail minutieux d’une équipe de dessinateurs dont le story-boarder Eric Gandois qui jette les bases des futurs décors et costumes. Réunissant une abondante documentation, ils soumettent chaque proposition visuelle à Nicolas : « C’était compliqué, » explique Eric, « parce qu’il fallait créer un univers de conte de fées, mais ancré dans la réalité. Les relations entre les personnages et les émotions sont réalistes, mais décalées. » Il poursuit : « J’ai découpé tout le film en 3 mois et demi, en faisant de petits croquis de mise en place de caméra et de décors.. Je travaille principalement au crayon, je scanne mes dessins et je les retouche. Je fais aussi des mises en couleurs. » S’appuyant en grande partie sur le story-board, le créateur des costumes Patrick Lebreton prend le relais à la suite de Laurent Kim qui a dessiné tous les personnages : « Comme l’univers de Timpelbach est intemporel, on pourrait croire que j’ai eu beaucoup de liberté, » souligne Lebreton. « Mais Nicolas sait très exactement ce qu’il veut – et ce qu’il ne veut pas. » Du coup, le costumier s’est amusé à mélanger les matières et les couleurs, les éléments modernes à des accessoires des années 1910 et 1930. « J’ai beaucoup travaillé sur la dimension BD des personnages, » note-t-il encore. « C’est comme ça que j’ai imaginé un costume d’aviatrice pour Corbac (Armelle), après avoir pensé à une robe de mariée, et que j’ai conçu la fraise de Mme Drohne (Carole Bouquet) comme une collerette d’oiseau. » Et les enfants ? « J’ai suivi le casting des gamins de très près car leur personnalité et leur physique ont beaucoup influencé la conception de leurs costumes, fabriqués sur mesure, » indique Lebreton. Une preuve supplémentaire qu’avec Timpelbach on a vraiment affaire à un travail d’équipe.

MIRACLE À TIMPELBACH

Le casting est toujours le fruit d’une alchimie délicate, imaginez les enjeux d’un film dont le succès repose sur les – petites – épaules de 25 enfants âgés de 7 à 13 ans ! Dans un premier temps le réalisateur décide de sélectionner des enfants sans aucune expérience pour qu’ils soient le plus naturels possible devant la caméra. Il fait vite machine arrière : « On a vite compris qu’on avait intérêt à ce que certains de nos gamins aient déjà connu un tournage pour nous reposer sur eux dans les moments de tension – et la suite nous a donné raison ! » signale-t-il. En metteur en scène rigoureux, Nicolas s’est constitué un jeu de fiches extrêmement détaillées pour chaque personnage – profil psychologique, signes particuliers, objet fétiche, statut dans le village, évolution dans le récit etc. – qui vont l’aider pour le casting. Et la méthode fait ses preuves : sans jamais aller contre la nature de ses acteurs en herbe, le cinéaste réussit l’équation parfaite entre les jeunes protagonistes tels qu’il les a imaginés et leurs interprètes. Même si, bien entendu, chaque enfant est un cas particulier. Mathieu Donné (Gros Paul) : « Au début, il sonnait faux, » précise Nicolas, « mais il a tellement progressé que j’ai pu lui demander des nuances de jeu très subtiles. » Martin Jobert (Willy) : « Il voulait absolument jouer un méchant, mais il était trop petit pour Oscar, » ajoute-t-il, « et il est parfait en Willy grâce à une maturité exceptionnelle. » Terry Edinval (Wolfgang) : « C’était compliqué parce qu’il a un frère jumeau, mais sa mère nous a assuré qu’il n’y aurait pas de problème si l’un tournait et l’autre pas, » poursuit le réalisateur. Au final, « le casting s’est avéré vraiment prodigieux, » conclut Dimitri Rassam.

STUDIO OU DÉCORS NATURELS ?

Reste alors une question de taille : où trouver le cadre idéal du village de Timpelbach ? Rêvant de tourner en décors naturels, Nicolas Bary a une idée très précise du style visuel qu’il compte donner au film. « Il avait en tête des univers stylisés comme ceux de Tim Burton ou de Guillermo Del Toro, » indique le directeur de la photo Axel Cosnefroy, qui avait déjà signé la lumière de Before. « Il voulait aussi que les décors puissent s’intégrer dans une atmosphère cartoonesque. » La production n’est pas au bout de ses peines…

Les repérages commencent en Alsace, mais les villages semblent « trop rénovés » au goût du réalisateur. Alors qu’il s’apprête à poursuivre ses recherches dans l’Aveyron, Nicolas apprend qu’une coproduction avec la Belgique et le Luxembourg est en bonne voie. C’est dans ces deux pays que l’essentiel du tournage va se dérouler.

Après avoir passé, en vain, bon nombre de villages au peigne fin, la production envisage sérieusement de construire la place de Timpelbach – cœur même de l’intrigue – en studio. Une fois encore, la chance vient en aide à l’équipe : Dimitri Rassam apprend par le plus grand des hasards qu’un village wallon, où un tout autre film a été tourné, pourrait correspondre à ses attentes. Suspense… Mais lorsque Nicolas se rend sur place, c’est le coup de foudre ! « C’était une place fortifiée du XVIIème siècle où les habitants organisaient des fêtes médiévales, » rapporte le chef décorateur Olivier Raoux. « Il y avait un très bel abreuvoir sur la place où poussaient des buis centenaires magnifiques. On a réussi à convaincre le propriétaire de remplir d’eau l’abreuvoir et c’est devenu la fontaine du village – cœur de l’action – autour de laquelle on découvre la mairie, le bistrot et l’école. » Lucide, le producteur ajoute : « À deux semaines près, on aurait dû opter pour le studio, la place n’aurait pas été aussi belle et cela aurait considérablement grevé notre budget. » Enthousiaste, Nicolas Bary renchérit : « Nous avons trouvé au Luxembourg les décors qu’il nous fallait pour les scènes de forêt et les intérieurs de la mairie, de l’auberge du Lion d’Or et du cachot des parents. En définitive, je me suis rendu compte que les contraintes ont été formidablement bénéfiques puisqu’on a réussi à tourner deux tiers du film en extérieurs ! »

QUAND LA MAGIE OPÈRE…

Les contraintes, Olivier Raoux a également su en tirer parti. « Quand j’ai vu les forêts, les roches couvertes de mousse et les passages entre les arbres, j’ai vite compris qu’on était sur la bonne voie, » observe-t-il. « Il y avait là une atmosphère de mystère et de conte qui collait parfaitement avec l’univers du film. »

Olivier Raoux n’est pas au bout de ses surprises. Aux antipodes du cadre naturel de la forêt, il découvre au Luxembourg des friches industrielles datant de la première moitié du XXème siècle. Il a alors l’idée de situer le QG d’Oscar dans un vaste hangar désaffecté – alors qu’il était initialement censé se trouver dans une carrière de sable. « Après plusieurs recherches infructueuses, on a déniché un hangar d’une dimension suffisante pour notre équipe, » précise le décorateur. « Mais il y avait une fosse au milieu qui pouvait nous gêner : je me suis dit qu’on pouvait la transformer en arène où se déroulent les combats entre Écorchés. On a donné au lieu un côté théâtral qui a beaucoup plu à Nicolas Bary. » 

Restent quelques décors à concevoir en studios. Comme l’école qui pose problème à Olivier Raoux car elle a déjà été utilisée dans Before. « Je suis retourné dans l’école de mon enfance, » se rappelle-t-il. « Je m’en suis donc inspiré pour le cadre un peu austère de la salle de classe, mais pour le boudoir secret de Corbac, j’ai puisé dans l’univers rose bonbon de Barbara Cartland. J’ai ajouté une baignoire dans un coin et plusieurs miroirs. Du coup, on comprend qu’il y a aussi une femme très féminine qui se cache derrière cette terrible institutrice. » Et les accessoires ? Olivier Raoux s’est accordé une grande liberté en la matière – sans jamais perdre de vue la fonction utilitaire des objets. « Par exemple, on tenait beaucoup à ce que chaque enfant ait sa propre bicyclette personnalisée, » reprend-il. « Mais il s’agit avant tout d’un vélo et il fallait qu’une fois l’objet terminé, on ne remarque pas l’intervention de l’accessoiriste. Car rien n’était gratuit sur aucun des accessoires qu’on a créés : canon à patates, lance-hamsters ou bicyclettes. »

« Au final, » note encore le décorateur, « nous avons constamment cherché à retranscrire l’imaginaire de Nicolas Bary en le ramenant à un décor réel ou aux contraintes avec lesquelles on devait composer. »

ÉPIQUE, VOUS AVEZ DIT ÉPIQUE ?

La saga ne s’arrête évidemment pas là. Et avec le tournage, c’est une toute nouvelle aventure qui commence. Dès la première semaine, l’équipe prend deux jours de retard : les enfants ont du mal à rester concentrés, si bien que Nicolas Bary doit se montrer pédagogue. « J’ai essayé de les responsabiliser, en leur expliquant qu’ils avaient choisi d’être là et qu’ils devaient maintenant jouer le jeu, » note le réalisateur. « J’ai été plus dur avec les grands, en leur disant que j’avais besoin de leur aide. » Une méthode qui porte ses fruits puisque tous les petits comédiens finissent par se comporter comme de vrais pros. « Il fallait que ce soit eux qui aient envie de tourner et qu’on ne sente pas qu’on les force d’une manière ou d’une autre, » ajoute Dimitri Rassam. « Très vite, un vrai respect s’est instauré entre eux et Nicolas. On riait tout le temps, même les jours les plus difficiles. » Le réalisateur reprend : « Quand ils ont compris qu’ils avaient intérêt à s’entraider, ils ont réussi à se concentrer et sont devenus complices. » Certes, les plus jeunes souffrent un peu de ne pas voir leurs parents, mais la production met alors en place des ordinateurs avec webcams pour que les chers bambins puissent communiquer avec leur famille !

Malgré 12 journées de tournage supplémentaires, il faut aller vite. C’est ainsi que la production fait parfois travailler plusieurs équipes sur un même décor : « Trois caméras tournaient alors en même temps, au même endroit, » se rappelle Dimitri Rassam. « Les comédiens passaient d’un mini-plateau à l’autre : l’ingénieur du son devenait fou ! » Résultat : grâce à une solidarité exemplaire entre techniciens et acteurs, Nicolas Bary n’a jamais dû renoncer à ses ambitions. En témoigne la lumière d’Axel Cosnefroy, particulièrement stylisée en fonction des décors. « Pour les extérieurs du village, par exemple, j’ai fait beaucoup de photos-tests pour voir où se plaçaient les ombres, » note le chef-opérateur. « Du coup, je connaissais la position du soleil heure par heure et j’ai pu me centrer sur les visages sans que la lumière impacte trop durement la peau. »

Il ajoute : « Pour les scènes de forêt, j’ai privilégié des tonalités ocres, jaunes et rouges et j’ai utilisé de la fumée pour accentuer la dimension de conte. Dans le QG d’Oscar, en revanche, l’ambiance est plus chargée : on a travaillé avec des lumières crues qui rappellent un ring de boxe. Au Lion d’Or – espace où les enfants se prennent pour des adultes –, l’atmosphère est chaleureuse, comme dans un cabaret-lounge. À la mairie, les lumières sont volontairement froides : j’ai accentué les blancs nacrés avec des taches de couleurs, un peu comme dans un tableau de Goya. »

Lucide, Dimitri Rassam conclut : « Le film n’a été fait que dans le dépassement de ce qui était prévu au départ – en termes de temps de tournage, de budget, de cadre. Après coup, on s’est rendu compte que c’était de la folie. Mais on a eu de la chance – beaucoup de chance. »

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