Jean-Pierre Jeunet sur l’adaptation de « l’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet »

Image extraite du film L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet.
© 2013 Epithete Films - Tapioce Films - Filmarto - Gaumont - France 2 Cinéma

Jean-Pierre Jeunet nous raconte à travers cette interview comment l’adaptation de l’Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet, fut comme une évidence. L’univers de ce livre, aux détails très précis, lui rappelait la réalisation de son film mondialement connu Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.

Comment avez-vous découvert « L’EXTRAVAGANT VOYAGE DU JEUNE ET PRODIGIEUX T.S. SPIVET », ce livre de Reif Larsen qui semble avoir été écrit pour vous?

En fait après MICMACS À TIRE-LARIGOT, je n’avais pas envie d’écrire à nouveau une histoire originale. J’aime bien alterner les plaisirs… J’ai chargé un « lecteur », Julien Messemackers, d’attirer mon attention sur des livres qui pourraient m’intéresser. Julien avait fait une chef de lecture sur AMÉLIE à l’époque où ce n’était qu’un projet, une chef extraordinaire annonçant quasiment tout ce qui allait se passer, ce qui, à ce moment-là du projet, m’avait fait beaucoup de bien ! Au printemps 2010, j’étais en Australie en train de tourner des réclames quand il m’a appelé et m’a dit: « Voilà, il faut que tu lises tout de suite le premier roman d’un jeune auteur américain, L’EXTRAVAGANT VOYAGE DU JEUNE ET PRODIGIEUX T.S. SPIVET, de Reif Larsen. » Il me l’a envoyé et, profitant du décalage horaire, je l’ai dévoré en quelques nuits. J’ai été emballé par cet étonnant personnage, par son histoire émouvante, par l’abondance de détails et aussi par l’ambiance, les trains, le Montana, les grands espaces…

Avez-vous rencontré l’auteur ?

La première fois que je l’ai rencontré, Reif Larsen m’a dit : « Quand j’ai vu AMÉLIE, j’ai eu l’impression que quelqu’un avait creusé dans ma tête ! » Et il m’a offert un livre de photos que… je venais moi-même d’offrir à tous mes amis ! Immédiatement, il y a eu entre nous une incroyable connivence malgré la différence d’âge et de background. Nous sommes assurément de la même famille, nous avons les mêmes goûts, les mêmes obsessions, les mêmes emballements, les mêmes attirances. C’est moi il y a 30 ans ! Il a suivi le projet jusqu’au bout, il est venu sur le tournage, il a même fait un peu de figuration, nous n’avons jamais arrêté d’échanger des mails depuis que nous nous sommes rencontrés… Tout de suite, j’ai eu envie d’adapter son roman. J’y ai vu l’occasion de faire un film qui s’inscrive dans mon univers et à la fois s’en éloigne – ne serait-ce qu’à cause de la langue, des grands espaces, des paysages américains, et de l’utilisation de la 3D…

L’envie de la 3D est donc venue tout de suite ?

Oui, parce qu’elle est inhérente au projet lui-même. Dans son livre, Reif Larsen a accompagné son texte de nombreux petits dessins dans les marges : des cartes, des croquis, des plans, des portraits, des notes… C’était normal qu’ils figurent dans le film et le meilleur moyen pour qu’ils y soient était bien évidemment la 3D. C’était l’opportunité de faire flotter ces dessins au milieu de la salle, avec ces effets de « jaillissements » que le public adore ! Mais de la même manière que dans AMÉLIE les effets spéciaux étaient au service de la narration, j’ai voulu que la 3D soit au service du récit et de la poésie. Si bien que dès l’écriture j’ai pensé 3D… D’autant que c’était pour moi une manière de renouer avec mon passé, avec ce Stéréoscope View Master que j’avais quand j’étais môme, dont les images en relief me fascinaient et qui, dès l’âge de 8 ans, a marqué mes débuts dans le cinéma : j’écrivais des dialogues, je découpais les disques et changeais l’ordre des images pour faire de nouveaux  films avec, et je les projetais à mes copains à l’aide d’un petit projecteur (à ce moment-là on perdait le relief…). J’ai toujours en mémoire l’odeur qu’il dégageait quand il chauffait, si bien que lorsque je suis en voiture et qu’une durite chauffe, j’y pense tout de suite. C’est ma madeleine de Proust !

Image du tournage du film L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet.
© 2013 Epithete Films – Tapioce Films – Filmarto – Gaumont – France 2 CinémaProdigious Spivet » © Photo: Jan Thijs 2012

Le grand pari était de trouver le petit garçon sur qui tout le film repose. Or, il faut reconnaître que Kyle Catlett est… prodigieux ! Comment l’avez-vous rencontré ?

J’ai travaillé avec une formidable directrice de casting québécoise, collaboratrice notamment de Denys Arcand : Lucie Robitaille. Nous avons lancé un immense casting à Montréal, Ottawa, Toronto, Vancouver, New York, Los Angeles et Londres. Nous avons vu je ne sais pas combien d’enfants mais malgré cela, aucun n’était intéressant. Je commençais à être inquiet. J’ai alors demandé à voir le deuxième et le troisième choix de Scorsese pour HUGO CABRET et Lucie m’a répondu que… je les avais déjà vus et pas retenus ! C’était la panique. Et puis, un jour, elle m’a montré les essais d’un môme, dix fois trop petit, qui avait 9 ans et en paraissait 7 mais qui, en même temps, avait un truc ! Quelque chose d’étrange, de fort, de singulier. C’était Kyle. Je me suis dit : « Ce n’est pas possible, il est trop petit pour le rôle… T.S. est supposé avoir 12 ans » mais je n’arrêtais pas de penser à lui. Nous avons convenu d’un rendez-vous avec lui sur Skype. Il m’a fait un grand numéro : « Je peux pleurer sur commande, je suis costaud, je suis fort, je suis champion du monde d’arts martiaux des moins de 7 ans » ! J’ai découvert un enfant extraordinaire qui, tout de suite, était très juste et comprenait magnifiquement bien les scènes de comédie. Si bien que dès que je suis arrivé au Canada, je suis reparti pour New York faire des essais avec lui. J’ai hésité pendant deux jours mais il était tellement formidable que, malgré sa taille, j’ai décidé que ce serait lui T.S. Spivet. Et là, on nous a dit qu’il avait signé la veille pour tourner dans une série américaine, THE FOLLOWING ! L’agent nous avait menti en nous disant qu’il n’avait pas d’autre proposition et qu’il était disponible. Nous avons hésité mais il était trop idéal pour passer à côté. Nous avons pris le risque et l’avons donc engagé. La série a démarré un peu plus tard, à la moitié de notre tournage, et là… nos ennuis ont commencé !

Qu’est-ce qui a été pour vous le plus difficile à accomplir sur ce film ?

D’abord, de survivre à ces problèmes de calendrier avec l’enfant. Puis de résoudre les problèmes de syndicat à l’américaine, surtout en Alberta, parce que, en France, on vit sur un plateau dans une liberté dont on ne se rend plus compte, tout y est beaucoup plus souple et beaucoup plus amical. Puis, de surmonter les difficultés qu’apporte la 3D car au niveau pratique, c’est quand même d’une très grande lourdeur. Enfin de résister à l’envie de tuer un ou deux de ces plus grands menteurs de la planète que sont les agents américains…

Quelle était la scène que vous appréhendiez le plus ?

Le discours final de T.S. Il était capital parce que tout le film reposait finalement là-dessus. Or, le premier jour de tournage prévu, la mère de Kyle a trouvé qu’il n’était pas en état de le faire. Autant dire que je n’en menais pas large le deuxième jour ! Je vais le voir dans sa caravane, je lui demande si tout allait bien et… il m’a dit : « Oui complètement relax ! » Je me souviens lui avoir demandé s’il voulait que les  figurants restent devant lui ou s’il préférait ne pas les voir et il m’a répondu : « C’est bien qu’ils soient là, ça peut aider » ! Ce petit bout s’est donc retrouvé devant 130 figurants qui l’attendaient au tournant, avec 10 pages de texte. « Moteur ! » En deux prises, c’était fait !

Et celle que vous avez préféré tourner ?

La même, je crois ! Kyle était tellement bien dans cette scène que je savais qu’à partir du moment où on avait cette scène, on avait le film ! Or, c’est peu de temps après qu’on nous a dit que Kyle ne serait plus disponible, qu’il allait partir tourner la série américaine. A ce moment-là, je me suis dit : « On a le discours, on a les scènes les plus difficiles, on a fait le plus dur, on ne peut pas arrêter le film, il faut qu’on se débrouille. » Et on s’est débrouillés ! Heureusement d’ailleurs qu’on a commencé par tourner toutes ces scènes-là à Montréal avant de partir pour l’Alberta, sinon le film était fichu !

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