Benoît Poelvoorde donne vie à l’écran au personnage de Sempé, Raoul Taburin

Image extraite du film Raoul Taburin.
© RAOUL TABURIN 2018 – PAN-EUROPÉENNE – FRANCE 2 CINÉMA – AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA – BELLINI FILMS – LW PRODUCTION – VERSUS PRODUCTION – RTBF (TELEVISION BELGE) – VOO ET BE TV © PHOTOS KRIS DEWITTE

Entretien avec Benoît Poelvoorde pour son rôle dans Raoul Taburin.

Que représentent Raoul Taburin et l’univers de Sempé en général pour vous ?

J’ai fait des études de dessin et la première personne qui m’a donné envie de dessiner, c’est Sempé. Je trouve qu’il dessine comme un dieu. Ce que j’aime tout particulièrement chez lui, c’est sa poésie désabusée, un peu vieille France, avec un fond de dépression transcendée par l’humour et la distance. Il dessine les héros du quotidien. C’est lui qui m’a appris à les regarder, ces petits bonhommes qui hurlent aux vagues de se coucher. Raoul Taburin est particulier, car il se situe entre le roman et le dessin. C’est un livre que j’ai découvert assez tard, grâce à une journaliste qui, en voyant Le vélo de Ghislain Lambert dans lequel je faisais du vélo, m’a suggéré de jouer Raoul Taburin. Elle trouvait que je lui ressemblais beaucoup. Comme je venais de faire un film sur le vélo, je n’ai rien initié, mais dix ans plus tard, revoici Raoul qui s’offre à moi, c’est incroyable ! Je ne pouvais pas refuser ce rôle.

Comment percevez-vous le personnage de Raoul Taburin ?

J’adore les histoires de gens qui ont un secret. Ce secret est source d’angoisse. Il est à l’image de toute l’œuvre de Sempé : c’est une toute petite chose qui fait basculer toute une vie. Raoul me fait penser aux hommes qui portent des moumoutes ! C’est un peu pathétique, mais poétique aussi.

C’est un homme entouré, mais seul…

L’évoquer me fait penser à un dessin de Sempé que j’affectionne beaucoup : c’est un petit couple de personnes âgées, ils réveillonnent avec des chapeaux sur la tête et le summum de la fête est atteint quand le type jette un petit pois avec une sarbacane sur la tête de sa femme, qui lève le doigt et lui dit : « Doucement ! ». Ça révèle une grande solitude dans un couple. Je pourrais en citer mille où la solitude des personnes s’exprime. Comme cet homme qui dit à sa voiture : « Bonne nuit, petit bolide ! ». N’y a-t-il pas façon d’être plus seul que de dire bonne nuit à sa voiture ?! Toute l’œuvre de Sempé tourne autour de la difficulté d’être seul. Raoul n’y échappe pas.

Dans le film, Sauveur Bilongue, le champion cycliste, lui déclare qu’il l’admire, qu’il le perçoit comme un artiste…

C’est un artisan, car il répare des vélos, mais c’est un grand artiste de la construction du mensonge ! Et c’est un poète aussi.

Comment avez-vous travaillé ses gestes ? Lorsqu’on le découvre en train de réparer un vélo au début du film, il est très méticuleux et gracieux, à la manière d’un musicien…

J’avais très peu de texte, notamment lors des trente premières minutes où l’on n’entend que la voix off. Avec Édouard Baer, on se disait qu’on faisait de la pantomime. Il fallait exagérer légèrement chaque geste, ce qui était délicat parfois.

Votre partition est faite de silences…

C’est pour cela qu’on parlait autant sur le plateau, Édouard et moi ! Je me souviens de cette séquence de nuit, où je dois me cacher dans l’atelier de Figougne, quand je vole son appareil photo, Édouard m’appelait le mime Marceau ! Il fallait ajuster le jeu, en faire parfois un peu plus ou un peu moins. C’était la difficulté de cette adaptation : il fallait être fidèle à la poésie de Sempé. C’était un bel exercice.

Image extraite du film Raoul Taburin.
© RAOUL TABURIN 2018 – PAN-EUROPÉENNE – FRANCE 2 CINÉMA – AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA – BELLINI FILMS – LW PRODUCTION – VERSUS PRODUCTION – RTBF (TELEVISION BELGE) – VOO ET BE TV © PHOTOS KRIS DEWITTE

Vous formez un duo très complice avec Édouard Baer, avec qui vous aviez déjà joué dans son film « Akoibon »…

Édouard, j’aime sa joie de vivre, sa curiosité, sa bonté, son lyrisme et son enthousiasme. C’est une âme généreuse, quelqu’un de rare. On est très amis, on a fait beaucoup de bêtises ensemble, donc je joue en fait tout le temps avec lui ! On n’avait pas l’impression de travailler, tant on s’amusait.

Comment vous a dirigé Pierre Godeau ?

Pierre est extrêmement délicat, gentil et très précis. Il sait ce qu’il veut et n’a pas besoin d’être autoritaire pour le demander. Il connaissait son scénario à la virgule près et voulait entendre sa musique. Il nous laissait emprunter les chemins qu’on souhaitait, puis nous corrigeait. Édouard et moi étions bons élèves, disciplinés, même si nous étions très bavards entre les prises. Pierre avait toute latitude pour nous faire aller là où il voulait. Nous étions heureux d’être là, dans ce cadre de travail idyllique. Si je n’avais pas eu mon accident, ça aurait été un tournage parfait. Car deux jours avant la fin du tournage, je suis tombé à vélo. C’est un comble, car je ne fais pas de vélo dans ce film. Or, le jour où je devais faire deux mètres à bicyclette et m’arrêter devant la caméra, j’ai voulu essayer le vélo. Comme il était arrangé pour qu’il ne fasse pas trop moderne, les freins ont été déplacés, je suis passé par-dessus bord et me suis fait une triple fracture du coude. J’ai été opéré tout de suite. Donc la seule fois où je suis monté à vélo dans ce film, ça a mal tourné !

C’est ironique !

D’autant que Sempé m’a fait un dessin où l’on me voit faire du vélo sans les mains ! C’était un signe ! C’est incroyable, cette histoire. On a envie d’en rire.

Quel souvenir gardez-vous de la séquence de chute aérienne ?

Vu que je l’ai faite en vrai avant, elle m’a paru très facile ! Mais je retiens l’image de moi suspendu à un câble à vingt mètres du sol, avec mon bras pas encore rééduqué et qui me fait un mal de chien.

Improvisiez-vous sur le plateau, Édouard et vous ?

Édouard a fait quelques impros ; moi, non, car mon rôle ne le réclamait pas. Je trouve que le scénario était bien écrit, il me convenait ainsi. Et en vieillissant, j’aime de plus en plus me laisser porter.

Vous n’aviez encore jamais joué avec une chèvre !

Non, et comme toujours avec les animaux, je m’entends davantage avec les dompteurs qu’avec les bêtes. Et je dois dire que cette chèvre n’était pas très joueuse.

Vous portez le même costume tout au long du film. Est-ce un atout pour incarner Raoul ?

En tant que paresseux, ça m’arrangeait bien, car j’aime bien ne pas changer de costume. Pour moi, c’est le pied. C’était pareil dans Le grand soir, j’avais un T-shirt et un pantalon dégueulasses. Ce qui est très mignon dans Raoul Taburin, c’est de voir le personnage grandir avec sa salopette. Pour moi, c’était très gai de jouer en salopette tout au long du film.

Comment avez-vous trouvé la mélodie de la voix off ?

Ce fut compliqué, car la voix off est un personnage en soi. On s’y est pris à plusieurs reprises, car j’avais des problèmes vocaux. En outre, je déteste enregistrer des voix off et je n’aime pas ma voix, donc j’ai eu de la peine à cet exercice. Je suis un acteur qui bouge beaucoup, et je trouve que ma voix manque de gravité pour être autonome. On a donc ramé, mais on s’est bien marrés. Et je suis content que vous parliez de mélodie. Tant mieux si elle s’entend.

Votre tonalité se situe entre drôlerie et mélancolie…

Ça vient de Pierre, qui était très à cheval sur les intonations. Il connaissait son texte par cœur et réécrivait sans cesse la voix off. On a trouvé cette tonalité ensemble. Je me suis laissé guider.

Quel souvenir gardez-vous du tournage et de la collaboration avec les villageois ?

On a vraiment investi les lieux, et les habitants de Venterol sont entrés dans nos vies. Ils ont été partie prenante du film. On connaissait tout le monde. J’allais régulièrement boire des coups chez les villageois. J’ai même en ma possession le T-shirt « Venterol United » que je porterai pour la promo du film !

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