« Tito et les oiseaux », une intelligente allégorie sur la peur qui paralyse les sociétés modernes

Image extraite du film Tito et les oiseaux.
© 2015 Damned Films

Gustavo Steinberg et Eduardo Benaim, les réalisateurs de Tito et les oiseaux, nous racontent l’origine du film. Un projet scénaristique qui avait pour ambition de nous renouer avec les fondements d’une société démocratique.

INTENTIONS DE RÉALISATION

L’ORIGINE DU FILM

Notre ville, São Paulo, est connue comme la “ville des murs”. 20 millions de personnes vivent ici, pour la plupart cachées derrière des clôtures, des barbelés et des fils électriques, comme si la peur était devenue une épidémie, une maladie. Nous avons toujours été fascinés par cette idée que la peur pouvait être contagieuse. Et la violence imaginaire, parfois basée sur des faits réels, mais souvent amplifiée par les médias, contribue autant à cette épidémie que la violence réelle. Quand nous avons commencé à écrire le film, en 2011, cette idée n’était peut-être pas aussi évidente qu’aujourd’hui, mais l’hyperactivité engendrée par les excès de connexions semble l’avoir clairement confirmée. Cela semble se produire partout. Pour différentes raisons, que ce soit des inégalités sociales, la crise économique ou le terrorisme, la peur envahit le monde. Et, au nom de la peur, les gens construisent des murs pour se protéger d’autres personnes, commencent des guerres, élisent des dirigeants autocratiques… Le rêve d’une société démocratique est en train de s’effondrer, non pas à cause de dangers réels qui peuvent être combattus, mais à cause de dangers imaginaires. Je trouvais intéressant de mettre en scène cette idée de la peur, notamment pour les enfants qui devront trouver un moyen de sortir de ce gâchis que nous avons créé pour eux. Et j’espère qu’ils y arriveront !

LES PIGEONS

Les pigeons et les colombes jouent un rôle très important dans le film : c’est en eux que se trouve le remède possible au problème. Aussi, ils sont présents en permanence dans le parcours de Tito, que ce soit de loin ou de très près, protégeant et accompagnant tous les personnages principaux. Ce n’est pas par hasard que nous leur avons attribué une telle place. Ces oiseaux vivent aux côtés des êtres humains depuis qu’il y a des villes. Avec les humains et les insectes, ils font partie des espèces les plus adaptées à la vie urbaine. Ils sont pourtant rejetés : ils transmettent des maladies comme la toxoplasmose, leurs excréments ruinent les bâtiments… Mais d’un autre côté, ils occupent un espace privilégié dans l’imaginaire contemporain : le symbole du Saint-Esprit, la colombe blanche de la paix, les pigeons-voyageurs (dont certains comme Cher Ami ont reçu des médailles d’honneur pour avoir sauvé des dizaines de soldats en traversant les lignes ennemies avec un message, ou GI Joe le pigeon voyageur britannique qui a sauvé tout un peloton…). Les pigeons évoquent de nombreux symboles liés au thème central du film.

RENCONTRE AVEC LES AUTEURS

À PROPOS DU SCÉNARIO

Gustavo Steinberg : “Le scénario a beaucoup évolué. C’était le premier film d’animation que nous écrivions avec Eduardo, et nous devions donc trouver ce qui fonctionnait ou non, en faisant de nombreux essais et erreurs. Découvrir toutes les possibilités offertes par les techniques d’animation était incroyable. Pouvoir créer un univers entier à partir de rien, seule l’animation permet de faire ça.”

Eduardo Benaim : “On s’est enthousiasmés pour le projet dès le début, car le défi de Gustavo était de créer une histoire qui aurait des choses à dire aux enfants et aux plus grands. La première question que nous nous sommes posée était de savoir comment aborder notre culture de la peur, de la ségrégation sociale et de la sécurité privée du point de vue des enfants. Puis, il nous a fallu se pencher sur la problématique de trouver comment transformer un genre éminemment adulte – le film dystopique apocalyptique – en une vision pleine d’espoir pour les enfants ! Et à partir de cela, nous avons pu donner vie à des personnages réalistes.” 

Image extraite du film Tito et les oiseaux.
© 2015 Damned Films

À PROPOS DE LA RÉALISATION

Gustavo Steinberg : “J’avais découvert le travail de Gabriel Bitar et André Catoto lors d’un festival de courts métrages. Leur talent m’a d’emblée impressionné et je les ai rencontrés pour travailler ensemble sur le projet de TITO ET LES OISEAUX.”

Gabriel Bitar : “Le film aborde les thèmes de la peur et du chaos social, et dès les premiers stades de recherche, nous avons ressenti une forte identification avec le mouvement expressionniste européen du début du XXe siècle. Nous voulions au début faire tout le film en peinture à l’huile, puis nous avons finalement intégré des animations numériques. Nous faisions une recherche permanente du meilleur moyen d’exprimer le geste avec les moyens dont nous disposions. Par exemple, nous avons photographié des coups de pinceau à la peinture à l’huile, que l’équipe numérique intégrait à ses animations. Puis, des textures et des traits de peinture étaient encore ajoutés afin d’améliorer l’ambiance lumineuse, les ombres et d’autres effets comme la fumée, le feu, etc. Nous avions aussi cette idée d’un degré de distorsion qui évoluerait : à mesure que l’épidémie de peur se propage, l’arrière-plan est de plus en plus déformé. Le graphisme des personnages a beaucoup changé avec le temps. Au début, ils avaient la tête plus grosse, plus mignonne, mais cela rendait le cadrage plus difficile. On est donc allés vers des proportions humanoïdes plus réalistes aux formes plus simples, ce qui a permis aux animateurs de se consacrer davantage à l’animation des personnages, rendant leurs gestes plus expressifs, capables d’accompagner le langage plus dur, plus brisé de la stop motion des coups de pinceau.”

André Catoto : “On s’est inspirés de nombreuses personnes réelles pour les personnages, la gestuelle d’un voisin, la façon d’écrire d’un professeur, etc. L’expressionnisme allemand a directement inspiré l’esthétique du film, que ce soit avec des peintres comme George Grosz et Karl Schmidt-Rottluff, ou dans le cinéma où il y avait cette habitude de déformer les arrière-plans et les personnages. Par exemple, je me suis penché sur le maquillage utilisé pour générer ces déformations, notamment autour des yeux, qui transmettent un léger inconfort, entre fatigue et peur. Car même si les personnages ont beaucoup évolué au cours du projet, il y a une chose que nous n’avons jamais changé : les yeux, très ronds, car ils font partie de l’histoire. Tout commence par eux.”

À PROPOS DE LA MUSIQUE

Gustavo Steinberg : “C’est en voyant LE GARÇON ET LE MONDE que j’ai découvert Gustavo Kurlat et Ruben Feffer. Leur travail sur ce film était sans faille. Et pour TITO ET LES OISEAUX, ils sont vraiment été formidables dans tout ce qu’ils ont apporté. Ils ont très bien compris ce que nous essayions de faire avec le film, et le thème musical du film a été trouvé assez rapidement. Mais le développement de la partition entière a été beaucoup plus long et complexe. Nous voulions avoir les compositions musicales au plus tôt, pour que les premières animations puissent se mêler naturellement aux sonorités du film. Ce processus était essentiel, car la musique a souvent servi de base pour trouver le rythme des scènes.” 

Ruben Feffer : “Une de nos références avec Gustavo Kurlat était la musique de Hans Zimmer dans INTERSTELLAR qui a une présence et une dynamique incroyables, et qui a l’audace d’intégrer des sonorités inhabituelles comme des orgues d’église. Nous voulions aussi marquer les moments d’angoisse, de peur et d’incertitude en utilisant un rythme à treize temps, des échelles plus petites et des dissonances pour transmettre ces sentiments. Nous cherchions quelque chose de radical, épique et « tordu » qui fonctionne pour les enfants sans être enfantin et qui réponde au langage visuel du film. Au cours de la phase initiale de création, avant la production des animations, nous avons composé l’ensemble des musiques sur ordinateur. Puis, nous les avons appliquées au fur et à mesure sur les scènes animées, tout en les ajustant. Enfin, nous avons remplacé quasiment tous les sons électroniques par des instruments orchestraux ou électroacoustiques.”

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